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Les bibliothèques, fers de lance des politiques de la ville

Le projet de la médiathèque du Mas du Taureau à Vaulx en Velin. - Photo ©Ville de Vaulx en Velin/DR

Les bibliothèques, fers de lance des politiques de la ville

Une journée nationale organisée jeudi 4 juillet à Paris par le Commissariat à l'égalité des territoires et le ministère de la Culture a mis la lumière, à travers plusieurs expériences concrètes, sur le rôle de la lecture publique dans les quartiers prioritaires de la ville.

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 05.07.2019 à 12h59

Quel rôle jouent sur leur territoire les bibliothèques qui sont installées dans des quartiers prioritaires de la ville ? Comment se rencontrent les politiques de lecture publique et les autres politiques publiques ? Jeudi 4 juillet, une journée nationale organisée à Paris a présenté les témoignages des cinq bibliothèques qui ont participé à l'étude menée conjointement sur cette question par le Commissariat à l'égalité des territoires et le ministère de la Culture, complétés par plusieurs autres expériences significatives.

Créer une offre pour les habitants des quartiers prioritaires

A Reims, la médiathèque de la Croix-Rouge, ouverte en 2003 dans le quartier du même nom, a été pensée spécifiquement pour répondre aux besoins des habitants de ce territoire en grande difficulté sociale. Le coeur de la stratégie a été pensé en lien avec les besoins du quartier mais aussi en fonction des objectifs du contrat de ville, notamment en matière d'éducation, de travail autour de la parentalité et d'accompagnement à l'emploi. Cet objectif se traduit par une diversification des profils des agents, avec des compétences dans le champ social, dans la médiation culturelle, dans l'accueil des primo-arrivants, par la création de fonds sur l'emploi, sur la parentalité et le développement de nombreux partenariats avec les acteurs socio-culturels du quartier. "Notre objectif est de sortir la bibliothèque de ses murs mais aussi d'attirer dans ce quartier, qui garde une image assez mauvaise, des habitants d'autres secteurs de la ville, a expliqué Eléonore Debar, responsable de la médiathèque de la Croix-Rouge. Nous organisons des événements qui n'ont lieu qu'ici comme le prêt d'instruments de musique ou une grande braderie annuelle".

La médiathèque la Grand'Plage, à Roubaix, entièrement modernisée en 2015, a elle aussi comme objectif d'aller au-devant des populations. Dans cette ville classée à 75% en quartiers politique de la ville et où 43% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, la médiathèque a créé un pôle Service aux publics et un pôle Développement des publics qui s'attachent à faire rayonner les services de la bibliothèque dans les quartiers. Elle a également acheté l'année dernière une Ideas box, bibliothèque en kit commercialisée par l'ONG Bibliothèques sans frontières. "Il faut inscrire les missions hors-les-murs dans l'ADN de la bibliothèque, a souligné Esther de Climmer, directrice de la médiathèque et des archives de Roubaix. L'objectif n'est pas seulement de faire venir les gens à la bibliothèque mais s'appuyer sur les partenaires de terrain pour aller au-devant des habitants là où ils se trouvent. Cette nouvelles missions posent de nombreuses questions en terme d'évolution du métier et de formation des personnels".

Articuler lecture publique et politique de la ville

Le maire de Chenôve, 14000 habitants dans l'agglomération du Grand Dijon, a inscrit l'émancipation des citoyens comme une priorité de sa politique. La bibliothèque, gratuite, accessible et offrant le prêt de documents en nombre illimité, est perçue comme un outil au service de cette politique. "C'est difficile d'évaluer l'impact de nos actions sur les habitants, a relevé Chantal Ferreux, directrice de la médiathèque de Chenôve. Mais quand je vois d'anciens jeunes difficiles qui fréquentaient la bibiothèque revenir une fois adultes pour inscrire leurs enfants, cela me fait du bien. Je me dis qu'on sert à quelque chose".

"On demande beaucoup à la politique de la ville, en matière de santé publique, de culture, d'éducation, a souligné Eddy Gaillot, directeur des affaires culturelles de Chenôve. Or les situations évoluent très vite. Il est très difficile d'y faire face. Il faut une solidarité de toutes les politiques publiques pour relever ces défis".

De la même manière, les élus de Courrières, ville de 10500 habitants située à 20 kilomètres de Lille, ont demandé à la bibliothèque de porter leur politique. La préfiguration de la bibliothèque s'est faite dans le cadre d'une consultation des habitants. L'établissement développe des actions d'alphabétisation ou d'accompagnement à la recherche d'emploi.

Développer des partenariats

Dans ces quartiers en difficulté, plus encore qu'ailleurs, le travail en partenariat avec les différents acteurs locaux, institutionnels ou associatifs, est un impératif pour les bibliothèques. La future médiathèque-maison de quartier qui ouvrira fin 2020 dans le quartier du Mas du Taureau à Vaulx-en-Velin, deuxième ville de la métropole lyonnaise, joue depuis l'origine du projet la carte de la démarche participative avec les habitants et du partenariat avec tous les interlocuteurs locaux. "La particularité du projet est d'allier le social et le culturel dans un lieu très ouvert, a expliqué Nadia Lakehal, adjointe déléguée à la culture de Vaulx-enVelin. Nous avons fait le choix de faire renaître ce quartier, en cours de réhabilitation, d'abord par la construction de cet équipement". Le programme, qui prévoit notamment une salle de spectacle, un café avec terrasse et une cuisine, a été élaboré à partir des souhaits des futurs usagers. "Notre rôle sera aussi de faire monter en compétence les associations avec lesquelles nous allons travailler", a souligné Valérie Brujas, directrice des médiathèques de Vaulx-en-Velin.

L'opération Des livres à soi, initiée par Sylvie Vassalo, directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil, est un exemple particulièrement abouti de partenariat. Le programme, destiné aux familles et devenu national avec le soutien du ministère de la Culture, consiste à proposer des ateliers autour de la lecture pour les parents, trois sorties — dans une bibliothèque, dans une librairie et dans un salon du livre — et la remise de chèques lire de 80 euros pour inciter les participants à constituer une bibliothèque familiale. "On s'est demandé pourquoi les enfants ne fréquentaient pas le salon du livre de Montreuil en dehors des visites scolaires, a détaillé Sylvie Vassalo. Il y a la question de la gratuité mais aussi celle du sentiment de légitimité à venir dans ce type de manifestations, ainsi que la barrière de l'accès à la langue écrite. Notre action cible non les enfants mais les parents en faisant entrer le livre dans le cadre familial". En tout, le dispositif a formé 400 professionnels, touché 1000 parents et 2350 enfants.

Faciliter l'accès aux services publics

Faire de la bibliothèque un point d'accès aux services publics est un axe de réflexion fort aujourd'hui. La Médiathèque-Estaminet ouverte en 2015 à Grenay, petite commune de 7000 habitants dans le Nord de la France, s'est constituée sur cette philosophie. Elle rassemble, liste non exhautive, le centre d'animation jeunesse, les services périscolaires, la Protection maternelle et infantile, le service communication de la ville. Dans cette ville, qui compte 72% de logements sociaux et détient le titre de ville la plus pauvre de France dans la catégorie des communes de moins de 10000 habitants, la Médiathèque-Estaminet est le fer de lance d'une stratégie politique globale.

Parmi ses multiples actions, le réseau des médiathèques de Plaine Commune travaille également sur l'accès aux services publics, en particulier en proposant des ateliers autour des démaches administratives dans les espaces numériques que compte chacune des 23 médiathèques du réseau, encadrés par les personnels des bibliothèques mais aussi en partenariat avec des associations.

Pas de modèle unique

"Il n'y a pas de recette miracle, c'est à chaque territoire de trouver les solutions qui conviennent à ses habitants, de développer et fédérer un réseau de partenaires issus de tous les champs éducatifs, sociaux et culturels", a affirmé Alice Bernard, présidente de l'Association des bibliothécaires de France.

Sylvie Robert, sénatrice d'Ille-et-Vilaine, et co-responable en 2018 du groupe de travail national Culture dans le cadre du Plan de mobilisation nationale pour les habitants des quartiers, a, quant à elle, épinglé le ministère de l'Education nationale en formant le souhait que celui-ci "devienne un vrai partenaire des bibliothèques, et pas seulement dans le cadre de projets très formatés qui ne s'adaptent pas aux réels besoins des territoires". Elle a ensuite livré sa recette de projets réussis: "un peu de liberté, des moyens et beaucoup d'envie".

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