Il y a dans le plaisir pernicieux des "happy few" quelque chose qui, bien entendu, ne fait pas forcément l’affaire de ceux qui sont l’objet de leur admiration. Ainsi de Marion Vernoux. Depuis 1991 et un inaugural et splendide Pierre qui roule, quelques cinéphiles avisés, trop peu en vérité, savent qu’elle compte parmi les plus singuliers (c’est bien le moins en la matière) auteurs de films de ce temps. Ce qu’elle a construit au fil du temps, de Love, etc. aux Beaux jours en passant par Rien à faire ou Reines d’un jour, c’est bien une œuvre, volontiers féministe, douce-amère, tout entière dédiée aux mal parties et aux jamais vraiment arrivées. Une œuvre qu’elle poursuit aujourd’hui dans une veine plus clairement autobiographique et en littérature puisque le cinéma s’est (pour un temps seulement, souhaitons-le) éloigné.
Mobile home sera donc le livre d’une femme revenue de tout, de la mort de sa mère, de ses espoirs déçus de cinéaste, de son mariage avec Jacques Audiard, de son enfance d’enfant de la balle solitaire, du rêve libertaire de sa génération, de la Shoah même, mais qui retient tout près d’elle, qui ne se renie pas. Ce que Marion Vernoux peint, c’est d’abord un paysage de défaite bien sûr, les batailles perdues d’une quinquagénaire qui voulait croire à la beauté des combats ; c’est aussi une transfiguration où la joie a son mot à dire. C’est le manuel de savoir-vivre d’une bonne perdante, la fille unique d’un décorateur de théâtre et d’une directrice de casting (tous deux communistes), une mère de trois enfants, une amoureuse ardente et volontiers énervée, à qui le cinéma - ceux qui le font et en vivent - offrit comme une fraternité introuvable. L’insolence, une manière d’optimisme aimable qui semble relever d’une vraie bonne éducation, lui sert de viatique. Marion Vernoux ne cache rien de ses errances ; au contraire, elle les expose comme pour signifier qu’au-delà de leur poids de tristesse, elles sont d’abord irrémédiablement siennes et qu’elle ne voudrait pas en être dépossédée. Pour écrire cette vie vécue comme on remplit les pages d’un cahier de brouillon, elle a l’élégance infinie de l’humour, le "sens du rythme" d’une authentique écrivaine. Affaire à suivre. Olivier Mony