Dix-huit mois seulement après la prouesse graphique et technique de 3» (1), Marc-Antoine Mathieu est de retour avec un album tout aussi fascinant. Sous les auspices réunis de Winsor McCay, Fred, Moebius et Francis Masse, d'ailleurs très joliment cité intellectuellement et graphiquement dans une case du Décalage, le dessinateur imagine son anti-héros Julius Corentin Acquefacques manquant le début de sa sixième aventure. Techniquement d'ailleurs, l'album commence directement à la page 7, disposée à la place de la couverture. Il se poursuit sur les pages de garde et sur plusieurs dizaines de pages avant que, par d'habiles et même jubilatoires stratagèmes, Marc-Antoine Mathieu ne nous délivre la "vraie" couverture, et avec elle le début de l'histoire.
En attendant, comme le souligne une sorte de contrôleur à la casquette siglée "BD", "on a raté la fenêtre de mise en orbite de l'histoire". Julius, une nouvelle fois prisonnier d'un de ses rêves, assiste en spectateur au dérèglement d'une intrigue à laquelle il ne participe pas. "Plus rien n'était écrit [...]. Non seulement il n'y avait plus d'histoire mais j'en étais exclu", se lamente-t-il. Dans le même temps, les personnages secondaires sont désemparés : "une histoire sans héros, est-ce encore une histoire ?" ; "sans histoire pas de temps et sans temps pas d'histoire"... De pirouettes en jeux de mots déployés avec beaucoup d'humour dans des décors mouvants et souvent spectaculaires, les frères Dalenvert, le voisin de Julius, Hilarion Ozéclat, et le professeur Ouffe tentent tant bien que mal d'avancer à l'aveuglette. "Il ne se passe pas un moment sans qu'il ne se passe rien", remarque l'un d'eux. Mais ce rien n'en ouvre pas moins de vastes champs de réflexion et d'expérimentation. Comme le note Hilarion Ozéclat : "Le champ est libre, tout est à inventer !"
(1) Voir LH 871, du 24.6.2011, p. 54.