Un détail dans un retable provençal de 1480. On y distingue les vingt-deux arches d'un pont de 920 mètres, celui d'Avignon. Ce document figure parmi les soixante retenus dans Images de France. Ce pont devenu chanson parlait déjà à nos ancêtres car il les reliait à leur quotidien.

Avec la force du discours de l'historien, on voit comment cette peinture peut encore projeter au-delà de la scène religieuse quelque chose des rêves de la France d'alors, la manière dont les Français percevaient leur pays.

C'est le sens du projet de Léonard Dauphant. Ce médiéviste, maître de conférences à l'université de Lorraine à Metz a été remarqué pour sa thèse sur l'espace politique français du XV^e siècle intitulée Le royaume des quatre rivières (Champ Vallon, 2012). Il est également l'auteur de Géographies, ce qu'ils savaient de la France (1100-1600) (Champ Vallon, 2018).

D'une certaine manière, ce livre est le prolongement de ses travaux car il illustre - magnifiquement - sa démarche de chercheur.De la préhistoire à nos jours, de Lascaux au territoire actuel chahuté par la crise économique et écologique, Léonard Dauphant montre « comment ce pays a été vécu et mis en scène de siècle en siècle ».

De cette frise du passé surgissent la forêt au sens de « possession royale » sous les Carolingiens, Charles VII qui montre son sens de la justice et de l'État à l'endroit de son cousin félon Jean d'Alençon, la création vers 1600 de Tadoussac, premier village en Amérique du Nord dans la « Baye de Canada », ou encore Louis XIV, « le grand promoteur de l'image du territoire français » en général et de la sienne en particulier.

Chaque document invite au récit, chaque commentaire à la réflexion, comme cette carte du service des postes au XVII^e siècle qui pourrait se calquer sur celle des chemins de fer à la fin du XIX^e ou ces colliers donnés par les Hurons à la cathédrale de Chartres en 1678. Sur cent cinquante générations, on suit cette nation qui accouche dans la douleur au XIV^e siècle, domine au XVII^e et s'interroge depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sur son identité avec « le sentiment fragile d'une supériorité culturelle ».

Léonard Dauphant souligne que la francophonie a existé avant la France au Moyen Âge et que la littérature française éclot au XII^e siècle « à Londres plutôt qu'à Paris » avec Marie de France à la cour d'Henri III Plantagenêt où la langue de culture était le français.

Ces petites vignettes sont grandes d'enseignement sur la manière dont ces Français ont vécu, pensé et rêvé la France, avant les cartes savantes et puis après. L'image relève bien évidemment de la mise en scène car le choix est toujours délibéré. Il traduit un sentiment, un vécu, une illusion. Mais même les illusions font partie de l'histoire, comme les désillusions.

Il n'est donc pas étonnant de voir apparaître en 1995 une photo prise d'un satellite qui montre le pays avec le tourbillon d'une zone de basses pressions atmosphériques, ce pays en forme d'hexagone si familier, auquel ses habitants sont si attachés.