21 août > Roman France

Metin Arditi- Photo J.-F. PAGA/GRASSET

Dès la Révolution de 1917, le nouveau pouvoir des Soviets s’en est pris à l’Eglise orthodoxe, accusée d’intime collusion avec l’ancien régime des tsars. Non sans raison : en Russie, de tout temps, le goupillon a fait allégeance au sabre, jusqu’à aujourd’hui et à Vladimir Poutine. Fermetures d’églises et de couvents, persécutions des religieux, saccages, pillages furent légion, ordonnés au plus haut niveau de l’Etat, et mis en pratique par le NKVD, ancêtre du sinistre KGB, dont les nervis firent preuve d’une impitoyable efficacité. Mais la religion était si chevillée au corps et à l’âme des Russes, le patrimoine de leur Eglise si riche, notamment les icônes, et réparti dans tant de lieux de culte, que l’éradication de « l’opium du peuple » et la confiscation de ses trésors ne s’est pas faite en un jour.

C’est pour cela qu’en 1937, lorsque débute le roman de Metin Arditi, le camarade Staline peut encore lancer une grande campagne de destruction massive. Dans la région de Leningrad, près du lac Ladoga, un certain Nikodime Kirilenko, un ermite, va, dans des circonstances rocambolesques, devenir le sauveur d’une partie des chefs-d’œuvre des églises alentour. Ce Nikodime est un drôle de paroissien, un colosse au passé trouble, brutal, lubrique mais habité de la foi du pécheur. Il accueille à ses côtés quelques-uns de ses frères persécutés, crée une modeste communauté, la Petite Jérusalem, qui va devenir un foyer de résistance aux bolcheviques. Sous le nom de Confrérie des moines volants, ces acrobates d’un genre nouveau vont soustraire aux pilleurs du gouvernement pas moins de 42 œuvres d’art sublimes, que leur chef dissimule dans un endroit connu de lui seul, consigné sur un carnet. Mais la pression policière s’accroît, la communauté n’est plus sûre. Après avoir succombé au démon de la chair avec la belle Irina, Nikodime dissout la Confrérie, incendie la Petite Jérusalem, et se livre aux autorités. Torturé avant de se suicider, il ne parlera pas. Courage qui lui vaudra d’être salué comme martyr par l’Eglise russe en 2002.

L’histoire est authentique. Le livre pourrait s’arrêter là et le lecteur serait déjà enchanté. Mais Metin Arditi, écrivain franco-turc généreux et spécialiste des sujets romanesques puisés dans le passé, n’en avait pas encore fini. Dans une seconde partie, qui se déroule en 2000, il va nous raconter comment le trésor de Nikodime a pu être retrouvé, après bien des péripéties dues aux caprices du destin. Irina, l’amante de Nikodime, a eu un fils de lui. Passée en France avec ses secrets avant de retourner en URSS où elle est morte en 1958, elle l’y a laissé. Il s’appelait André (en fait Andreï) Marceau, était menuisier. A sa mort, son fils Mathias, photographe spécialisé dans les portraits de top-modèles, découvre toute une part de son passé qu’il ignorait : son père était d’origine russe, il était orthodoxe et pieux, et il avait conservé le carnet de Nikodime. Aidé de Polia, une journaliste de Saint-Pétersbourg, Mathias va se métamorphoser en vrai petit Indiana Jones.

C’est brillant, rondement mené, et tout se termine bien : les trésors sauvés par Nikodime s’admirent aujourd’hui au musée de l’Ermitage. J.-C. P.

Les dernières
actualités