Bernard de Fallois (1926-2018) n'était pas qu'un grand éditeur. Il était aussi un grand proustien. Cet essai sur Les plaisirs et les jours le montre comme une sorte d'évidence. Proust fut le compagnon littéraire de sa vie. Il n'a cessé de le lire, de le relire pour tenter de comprendre cette architecture complexe où le moi se répand par petites gouttes dans un océan mémoriel qu'il tente de canaliser.
Mais se saisir de Proust, c'est aller chez Proust. C'est donc dans ses archives, mises à sa disposition par sa nièce, qu'il exhume deux œuvres inédites, Jean Santeuil et Contre Sainte-Beuve, qu'il publie chez Gallimard dans les années 1950. Avec la méticulosité du chercheur, il reconstitue aussi la mosaïque de textes sous le titre Les plaisirs et les jours.
On imagine Fallois, le crayon à la main, lunettes sur le bout du nez, suivre les méandres de l'aventure qui commence. Il observe l'apprentissage de l'homme de lettres, cet artisanat qui consiste à polir son style, à entendre ses phrases, à forger son imaginaire dans la matière molle de la littérature. Dans ce qu'il voit comme des documents préparatoires, il montre Proust à la recherche de Proust avant celle du temps perdu. L'homosexualité y apparaît comme la matrice psychologique à partir de laquelle tout se développe et tout se dévoile.
« Si l'œuvre, dans sa structure générale, est encore loin de sa formation, les thèmes en revanche, les personnages, les situations, les épisodes sont largement représentés. » Du temps perdu au temps retrouvé, le balancier mémoriel devient un outil dans une quête de la pureté. Mais Fallois soulève aussi la question essentielle du rapport entre la littérature et la vie.
Ces nouvelles annoncent paradoxalement le renoncement futur à la fragmentation pour l'unité afin de céder enfin à cette tentation du roman qui l'obsède. Il y a une sorte d'abandon nécessaire pour relier tous les éléments d'un parcours et Fallois a l'intuition de voir les pièces du puzzle prendre place. Ce premier livre de Proust est déjà un bilan. Tout y est réglé, presque trop parfait, comme dans une horloge, sauf que « la vie ne circule pas ».
Fallois mène son enquête avec élégance. On retrouve cette distinction dans son style, précis, débarrassé de toutes les scories doctorales car l'agrégé de lettres plonge dans le texte en l'éclairant systématiquement par la biographie. Après la parution d'Introduction à La recherche du temps perdu (Fallois, 2018) et de Sept conférences sur Marcel Proust (Fallois, 2019), cet inédit achève le beau triptyque critique du plus proustien des éditeurs.
Proust avant Proust : essai sur Les plaisirs et les jours - Edition annotée et préfacée par Luc Fraisse
Les Belles lettres
Tirage: 1 400 ex.
Prix: 21,50 euros ; 192 p.
ISBN: 9782251449395