Il y a d’abord Patte-à-Patte. Un gaillard d’une soixantaine d’années environ, sec comme un coup de trique. Il est cantonnier « depuis une aube lointaine, et pour jusqu’à l’inéluctable et imprévisible couchant », chique et crache, fauche les ronces, coupe les broussailles sur le bord du fossé. Une voiture boueuse et rouillée s’arrête près de lui. Au volant, un « homme entre deux âges, apparemment plus proche du deuxième que du premier », semble perdu.
Cardo est parti au lever du jour de Meurthe-et-Moselle. Il cherche le Grand-Saucis, un « bled », et la maison de Mique. Voici ensuite une fille au regard vert et translucide qui a la « faculté de s’installer à loisir sur le bord du temps ». Elle vit avec un frère aîné dont elle n’a pas peur, Gussa, long et voûté, qui scie le bois dans sa salopette noire, et avec une mère, silencieuse et grise comme sa blouse, qui n’a plus une seule larme dans son corps. La fille s’est construit une cachette, à deux cents mètres de chez elle, dans les ronciers et les églantiers. Sur un tapis de fougères sèches, d’où elle observe les va-et-vient.
D’emblée, le lecteur est projeté en plein cœur de l’univers âpre de Pierre Pelot dont les éditions Héloïse d’Ormesson reprennent Elle qui ne sait pas dire je, paru en 1987 chez Plon. Dans un pays de collines, de forêts, de montagnes en plateaux, un coin perdu en Haute-Saône. Georges Mique, le père que vient à nouveau consulter Cardo pour son « secret », son « don », est mort et enterré depuis peu alors qu’on le disait bâti pour durer des siècles. La mort, c’est ce qui attend aussi la femme de Cardo puisqu’elle ne peut pas être opérée. Le voyageur veut croire que le défunt a légué ses pouvoirs à Mique. Qu’elle va pouvoir l’aider moyennant finance, qu’elle le veuille ou non…
Travaillant la langue et les sentiments en laissant toujours planer le malheur au-dessus des têtes, Pierre Pelot retourne ses cartes une à une. Le résultat donne un roman intense et puissant, maillon fort d’une œuvre décidément impressionnante. Al. F.