Photo JEAN-MARC GOURDON

Le plus cinglant pamphlet du moment s'intitule Homo comicusou L'intégrisme de la rigolade en hommage à un texte de Philippe Muray. Grand amateur dudit Muray, dont il goûte "la prose magnifique et les analyses", François L'Yvonnet s'en prend aux humoristes d'aujourd'hui : "des gens très sérieux, parlant gravement d'eux-mêmes et de leur corporation". Il étrille le rire contemporain d'acquiescement, de compromission. "Notre propos, explique-il, est motivé par l'agacement de voir parader sans vergogne une cohorte de bouffons que leur petit talent destinait plutôt à l'animation de noces et banquets, mais sont devenus par une sorte de déficit culturel, ou "critique", les impertinents du moment, les nouveaux maîtres-penseurs..."

L'Yvonnet donne rendez-vous au Select. Un endroit où il s'attablait avec Jean Baudrillard, le sociologue iconoclaste disparu en 2007. Il a d'abord été son élève à Nanterre dans les années 1970. L'auteur des Cool memories était "tout sauf un professeur", se souvient-il, épaté par "son esprit original, sa liberté de ton, son regard poétique porté sur le monde". Plus tard, en 2001, il y eut D'un fragment l'autre : un livre d'entretiens paru dans la collection "Itinéraires du savoir" d'Albin Michel (repris au Livre de poche, "Biblio essais").

Le volume entraîna un volume des "Cahiers de L'Herne" Baudrillard qu'il dirigea en 2004. L'Herne, il y avait déjà un pied grâce à sa contribution au "Cahier" George Steiner. Laurence Tacou, l'élégante manitou des lieux, a apprécié d'emblée cet "amateur d'idées à l'esprit très original", son "dilettantisme éclectique", sa "profonde méfiance des idéologies" qui les ont rapprochés. Elle lui a demandé d'alimenter la petite collection des "Carnets" avec des textes "avant tout marqués par un esprit de liberté". L'Yvonnet s'est exécuté en allant chercher du côté de Rosa Luxemburg, Hannah Arendt, Günther Anders, Paul Lafargue et même Casanova.

Valeurs latines

Ce philosophe est né en 1950, a eu un grand-père breton et une grand-mère chinoise de Shanghai. Son père était un médecin "réac", sa mère était professeure de lettres. Leur fils a appris à lire "dans Céline". A l'école primaire de Poissy, son meilleur copain est Albert Algoud, futur humoriste, pasticheur, chroniqueur et tintinophile. Tous deux dévorent Maurras et Bloy. Après des études de philosophie, à une époque "où le souci de l'emploi n'apparaît pas", il devient professeur de philo en classe terminale dans un lycée de banlieue.

François L'Yvonnet commence par écrire sans les soumettre des essais et un roman, « Le moteur de l'histoire », qui "n'a pas grand intérêt" et n'est jamais sorti de son tiroir. Chez Albin Michel, avec l'ami François Angelier, il participe, aux débuts des années 1990, à un ouvrage collectif sur le grand orientaliste Louis Massignon. Les compères s'occuperont bien après cela des deux tomes de ses Ecrits mémorables édités dans la collection "Bouquins" de Robert Laffont. Egalement chez Albin Michel, il lance la collection "Via latina" dans le département des sciences humaines dont s'occupe Hélène Monsacré. En 2006, le premier titre est Le défi de la différence : un livre d'entretiens avec l'universitaire et mécène brésilien Candido Mendes. Membre de son Académie de la latinité, L'Yvonnet continue de s'interroger sur le multiculturalisme, de défendre les valeurs latines à travers le monde en compagnie de gens aussi prestigieux qu'Edgar Morin ou Carlos Fuentes.

Le bonhomme ne s'arrête jamais. A L'Herne, il vient de préfacer Un brelan d'excommuniés de Léon Bloy, annonce un Mark Twain et un Charles Fourier, travaille sur un prochain "Cahier" Simone Weil. Dès qu'il a un instant, celui qui affirme n'être "ni de droite ni de gauche" et avoir pris "ses distances par rapport à l'idéologie" retourne à Belle-Ile. Avec son chien Cochise, immense golden retriever qu'il appelle "bébé", dans une maison face au grand large. Si la fiction ne le tente pas, il songe pourtant à écrire quelque chose sur son père, "médecin des pauvres assez célinien". Le résultat ne devrait pas manquer de piquant.

Homo comicus ou L'intégrisme de la rigolade, François L'Yvonnet, Mille et une nuits, 8,87 euros, 80 p., ISBN : 978-2-7555-0651-8. Sortie : 22 mars.

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