Auteur de L’invention de Paris : il n’y a pas de pas perdus (Points, 2004 et Seuil, 2012 pour l’édition illustrée) et de Paris sous tension (La Fabrique, 2011), Eric Hazan connaît bien la capitale, ses histoires et ses ardeurs. Il était donc tout désigné pour évoquer la barricade, ce symbole de l’insurrection étant une spécialité parisienne, si l’on excepte la révolte des canuts à Lyon, la rébellion européenne en 1848 ou l’insurrection de Varsovie en 1944.
Dans ce livre, l’historien-éditeur se plaît à rappeler les grands moments de cette obstruction au pouvoir. De manière chronologique, il nous entraîne sur le théâtre des opérations, dans ces rues où le peuple vient mettre des barrières au passage de la souveraineté en entassant tout ce qui lui passe sous la main. A l’origine, on utilisait des tonneaux, des barriques lestées de pierres ou de terre pour servir d’obstacle. Le mot apparaît au XVIe siècle avec la Journée des barricades qui contraignit Henri III à fuir Paris en 1588. Mais qu’il s’agisse des barricades de la Fronde après la mort de Louis XIII, de la faim sous la Révolution, c’est toujours au nom de la liberté et de l’indignation qu’elles sont érigées.
Plutôt qu’une analyse anthropologique, Eric Hazan a choisi le récit. Il a eu raison. Son talent de conteur se laisse facilement emporter et décrire certaines choses avec conviction suffit à les faire comprendre. Il fournit même, pour certains épisodes, quelques plans de ces rues entravées pour bien montrer que la spontanéité l’emportait souvent sur la stratégie.
Jusqu’à la Commune, l’auteur affiche le peuple qui se révolte. Lui-même est un révolté, un homme engagé. Il publie dans sa maison d’édition La Fabrique Premières mesures révolutionnaires : après l’insurrection (16 septembre), un essai pour reconstruire un après-capitalisme, pour dresser en somme quelques barricades dans la circulation des idées toutes faites.
Pour Eric Hazan, la barricade, objet révolutionnaire par excellence, est « une histoire toujours vivante, une source d’inspiration pour ceux qui ne se résignent pas au maintien éternel de l’ordre existant ». Même si elle n’a pas eu pour effet de libérer Paris en 1944, elle a eu un impact psychologique important. Chacun garde l’image du tableau de Delacroix illustrant les Trois Glorieuses avec, réunis sous le même feu, la liberté dépoitraillée, le gavroche, l’ouvrier et l’étudiant. D’ailleurs, en Mai 68, c’est ce symbole qui fut repris dans un Quartier latin en ébullition. Désormais, constate Eric Hazan, le blocage est ailleurs : sans doute moins dans les rues des villes que sur les autoroutes de l’Internet. On savourera donc ce livre éclairant pour son double positionnement : informatif et militant. L. L.