Impossible de passer à côté des lettres africaines dans les principaux salons du livre européens. Ces deux dernières années, les éditeurs de l’Afrique francophone ont investi toutes les foires pour défendre leurs ouvrages, que ce soit à Bruxelles, Francfort, Genève, ou Paris. Pour sa deuxième participation à Livre Paris, du 16 au 19 mars, le pavillon des Lettres d’Afrique, fondé par Aminata Diop Johnson, a doublé l’effectif des pays participants. Sur 400 m2, le pavillon a monté toute une programmation avec des débats, des expositions, des partenaires médias mais aussi une belle librairie, gérée par Folie d’encre (Montreuil) où se mêlaient ouvrages publiés en France et production d’une dizaine d’éditeurs africains. Sur les tables, les albums de bande dessinée publiés par Ago Média (Togo) jouxtaient les titres jeunesse des Ruisseaux d’Afrique (Bénin) ou de Ganndal (Guinée).
Dynamisme
Des budgets sont donc dégagés par les pays africains, qui voient dans le livre un moyen de promotion de leurs Etats, en particulier à Paris, qui reste un point de passage obligé pour les éditeurs et auteurs francophones qui souhaitent rayonner. Cette initiative met en lumière le "dynamisme de l’édition africaine ces dernières années", selon Aminata Diop Johnson, fondatrice et directrice de ce pavillon dans lequel est fortement impliquée la Côte d’Ivoire, avec son ministre de la Culture et de la Francophonie, Maurice Kouakou Bandaman, écrivain lui-même.
La Côte d’Ivoire, qui reste l’un des pays africains francophones les plus dynamiques, s’est progressivement dotée d’un "tissu éditorial de qualité", estime Anges Félix N’Dakpri, président de l’Association des éditeurs de Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, poursuit-il, le pays possède à la fois "des structures éditoriales qui maîtrisent le métier et des auteurs de qualité" mais aussi "des associations qui soutiennent les acteurs de la chaîne du livre, des écrivains jusqu’aux libraires". La Côte d’Ivoire développe pour la première fois une politique du livre avec une loi, votée en 2016, qui organise le secteur.
Partout en Afrique francophone, des initiatives, plus ou moins pérennes, ont été développées, portées par des personnalités désireuses de défendre un projet (voir les portraits ci-après). C’est le cas en Guinée, dont la capitale Conakry a été nommée par l’Unesco "capitale mondiale du livre 2017". Le commissaire général de l’événement, Sansy Kaba Diakité, aussi directeur de L’Harmattan-Guinée, porte le projet de faire de Conakry la "capitale africaine du livre". Dans ce cadre, le pays devrait lui aussi se doter, en avril, d’une politique publique structurant le secteur. Une noble ambition dans un pays où la situation du livre peine à s’améliorer.
Car, dans tous ces pays d’Afrique francophone, le livre reste confronté à des défis colossaux et figure comme un élément de second plan dans les politiques nationales. "Actuellement, les ministères de la Culture ont souvent peu budget pour le livre et les éditeurs ne sont pas beaucoup soutenus comparé à ce qui se fait en France", déplore Clémence Hedde, chargée de l’animation du réseau francophone de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. Seul le scolaire parvient à mobiliser les pouvoirs publics. Le secteur représente "90 à 95 %" du marché total, souligne Michel Mealet, directeur Afrique d’Hachette Livre International. Bien que dominé par de grands groupes français, le scolaire voit tout de même "l’émergence d’éditeurs locaux compétitifs" comme en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Cameroun, admet-il.
Potentiel immense
Certes, l’édition locale reste pénalisée par la cherté des ouvrages au regard du pouvoir d’achat de la population, les contrefaçons, les dons d’ouvrages depuis la France qui déstabilisent le secteur, mais aussi les difficultés de circulation du livre, liées aux infrastructures ainsi qu’aux problèmes sécuritaires. "L’un des maillons faibles de l’édition est le pôle distribution-diffusion", confirme Anges Félix N’Dakpri (Côte d’Ivoire), rappelant que le livre circule rarement hors des capitales et que le réseau de librairies reste réduit.
Cependant, l’Afrique représente "un potentiel immense avec, toutefois, une diversité de réalités à prendre en compte", observe Kamel Yahia, directeur export de Madrigall. Témoignant de ce potentiel, la Fnac s’est implantée dans plusieurs pays en Afrique subsaharienne, avec la volonté de répondre à une demande de produits certes technologiques mais aussi culturels. Dans ses magasins développés en franchise, explique Dominique Duval, directeur des partenariats du groupe, "le poids du livre est même plus élevé qu’en France avec des ouvrages importés de France mais aussi édités sur place". Comptant deux magasins à Abidjan en Côte d’Ivoire, deux autres à Brazzaville au Congo, et un à Douala au Cameroun, la Fnac ambitionne de s’installer au Sénégal et au Gabon.
Dan Bomboko, l’oiseau rare du 9e art
Seule maison indépendante consacrée à la BD, Elondja, fondée en 2004, fait figure d’oiseau rare dans le paysage éditorial congolais. Son fondateur, Dan Bomboko, journaliste de formation, a débuté sa carrière en 2001 dans une revue mêlant presse écrite et 9e art, Bulles & plumes. Il a alors observé "l’existence d’une réelle demande" dans cette "ancienne colonie belge imprégnée d’une forte culture BD". Aujourd’hui, l’éditeur ne compte encore que huit bandes dessinées dans son catalogue, mais il propose aussi nombre d’ouvrages "à caractère informatif et éducatif". Son objectif est de faire grossir son catalogue avec des histoires engagées et "inspirées de la vie quotidienne". Paris, Francfort, Bologne, Dan Bomboko parcourt l’Europe et multiplie les contacts pour se faire une place sur le marché occidental. Dans un premier temps, il vise une diffusion numérique avant de s’exporter sur papier. "Mes BD répondent aux exigences du marché africain. Pour l’Europe, je dois revoir le format et améliorer la qualité pour être compétitif", estime l’éditeur, conscient qu’il ne doit augmenter ni ses coûts de production, ni ses prix de vente. Pour ses BD "qui parlent de l’Afrique", Dan Bomboko évoque même des coûts à réduire pour faciliter l’accès au lectorat congolais. C. N.
Aliou Sow joue la mutualisation des forces
Créée il y a vingt-six ans, la maison d’édition Ganndal est l’une des plus anciennes en Guinée. Au-delà de son point fort, la littérature jeunesse, Aliou Sow, enseignant de formation, édite aussi des manuels scolaires, de la littérature générale et des livres en langue régionale. Pour remédier à la "complexe" commercialisation du livre, Aliou Sow s’est doté de sa propre structure de diffusion, Ganndal Livre. Et il dépasse les frontières guinéennes. "Je travaille avec d’autres éditeurs pour échanger des traductions et j’ai une convention de distribution avec L’Oiseau indigo qui a rejoint en 2016 la plateforme Bookwitty." Surtout, Aliou Sow croit à la mutualisation des forces pour dynamiser et faire connaître l’édition africaine. "Les éditeurs n’ont pas d’autre choix que de se donner la main pour montrer qu’ils existent", affirme-t-il. La maison est un membre actif du réseau des éditeurs africains (Apnet) mais est aussi membre fondateur d’autres associations comme Afrilivres ou encore l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. Avec cette dernière, les éditeurs font des "coéditions qui facilitent la circulation des livres", observe Aliou Sow qui participe également à l’élaboration d’une politique du livre en Guinée et a lancé, en 2017, le Salon international du livre de jeunesse de Conakry. "La preuve qu’il existe une littérature jeunesse qui s’adresse aux jeunes Guinéens", assure l’entrepreneur. C. N.