Sur le petit segment en plein essor de la "non-fiction" en bande dessinée, la plupart des auteurs ont jusqu'à présent opté pour le reportage. Depuis dix ans avec Garduno en temps de paix, Zapata en temps de guerre, Torture blanche ou Dol, tous réédités par Delcourt entre mars et mai, Philippe Squarzoni creuse, lui, de façon inattendue dans ce secteur, le sillon de l'essai.
Adossé à une enquête de grande ampleur, Saison brune est certainement le plus ambitieux et le plus abouti. Sous un titre qui fait référence à cette "cinquième saison" indécise entre l'hiver et le printemps qualifiée de "brune" dans l'Etat américain du Montana, l'auteur lyonnais à l'engagement altermondialiste assumé étudie la crise écologique sous tous ses aspects, économiques et sociaux en particulier.
Le projet est né d'une frustration lors de la finalisation de Dol, en 2006. Ce bilan politique des années Raffarin devait s'accompagner d'un chapitre sur les questions d'environnement. Or, en se penchant sur cette question qu'il ne connaissait pas au départ, Philippe Squarzoni s'aperçoit que quelques pages n'y suffiraient pas et préfère en faire le sujet d'un nouveau livre. Celui-ci lui demandera finalement six ans de travail.
Organisé en six chapitres déployés sur près de 500 pages, Saison brune dresse, toujours en BD, le panorama édifiant d'un monde et d'un écosystème finis dans lesquels "la croissance ne peut pas être infinie". "Soit nos sociétés mettent elles-mêmes en oeuvre les transformations nécessaires pour répondre à la crise qu'elles ont provoquée, soit elles se laissent imposer le choc frontal qui s'annonce", postule Philippe Squarzoni. Il retrace l'histoire du climat et explique l'effet de serre ; fait intervenir des experts pour dresser un état politico-scientifique du dossier sur le plan mondial et envisager des scénarios d'avenir plus ou moins catastrophiques ; montre les difficultés posées par la baisse de la consommation énergétique ; souligne les défis économiques et sociaux du réchauffement et du changement de civilisation qu'il implique ; et relie la crise écologique à la crise d'un système.
La force du livre tient à la multiplicité des moyens que Philippe Squarzoni mobilise au service de sa démonstration. A la variété de ses approches - représentations de la nature, graphiques, lectures et réflexions personnelles, interviews, balades et discussions avec sa compagne, voyages à différents endroits du monde - correspond une variété du dessin, toujours précis mais parfois didactique, voire technique, pour présenter certaines données, ou beaucoup plus poétique et même onirique pour balayer de vastes problématiques. Glissant volontiers du particulier au général et inversement, Philippe Squarzoni confronte sans cesse les informations qu'il rassemble à ses émotions et à son propre imaginaire, réussissant un ouvrage inclassable, solide et sensible.
