En mars 2008, un inconnu, Olivier Bouillère, entrait en littérature par la grande porte. Publié chez P.O.L, Rétro plongeait dans l'univers singulier et dérangeant d'un écrivain déjà en possession de ses moyens. Le quadragénaire a pris son temps pour écrire autre chose. Et revient enfin aujourd'hui avec un deuxième roman, Le Poivre, encore plus ciselé et tenu.
"Elle a été jeune. Elle a été célèbre. Elle a été heureuse." Lorraine Ageval a d'abord été une chanteuse fameuse. Son premier disque avait pour titre L'or et l'argent. Ensuite, elle a aussi été actrice. Dans La reine Visage en 1965, trois ans après sa révélation dans Grand large. Puis dans S comme espionne, Le dadais ou La comtesse en moon-boots. En cet été 1993, au temps des francs, elle a 53 ans. Lorraine, qui dîne d'un verre de vin blanc, est toujours mince, avec les cheveux abondants, bien qu'elle pense avoir perdu de sa splendeur.
La dame a un fils de 15 ans, Grégory, qu'elle voit peu et connaît mal ; une mère qui vit à Cannes et qu'elle vouvoie. En plus de quinze ans de carrière, elle compte aussi derrière elle quinze ans de mariage avec Renaud Devilers : un nébuleux affairiste dont elle est en train de divorcer et dont la première épouse a mystérieusement disparu. La voici recueillie par les soeurs Brissay, Hélène et Douce, qui porte si bien son prénom. Deux amies obligées de louer une partie de leur maison de famille face au Cap-Ferret. La fragilité et le voile de tristesse qui se sont abattus sur Lorraine se dissipent peu à peu grâce à plusieurs rencontres.
Benoît Cazot, cinéaste exigeant, auteur d'un "film miroir" tourné en inversé, veut faire quelque chose avec elle. Et puis il y a Iohan. Un maigre jeune homme roux aux yeux verts, âgé de 17 ans, élève en prépa au lycée de Sèvres. Lorraine l'avait croisé à Paris, le visage en sang, après un accrochage avec un garçon qui ne voulait pas de lui. Tout ce petit monde se déplace ensuite à Paris. Lorraine y loge avenue Georges-Mandel, dans un appartement où est accroché son portrait peint par Mati Klarwein, y roule en Pacer. Le maigre argent de la chanteuse et actrice s'évapore vite tant elle se montre généreuse. Il lui faut même se produire à un goûter d'anniversaire pour se renflouer. Dans les parages, on note aussi la présence de son excentrique amie Io Marbeuf, productrice dont le chien se nomme James Hadley...
Le lecteur traverse, hypnotisé, un roman élégant, mélancolique, vénéneux, aux dialogues étincelants. Souvent très débridé sexuellement, Le poivre est à la fois enlevé, drôle, poignant et hors des modes. C'est donc peu dire qu'Olivier Bouillère passe haut la main l'épreuve réputée difficile du deuxième roman.