La dignité, c’est un beau et vaste sujet. Il est traité avec élégance et clarté par ce philosophe suisse qui a enseigné à l’Université libre de Berlin mais qui est surtout connu comme romancier sous le pseudonyme de Pascal Mercier (Train de nuit pour Lisbonne, 10/18, 2008). Pour montrer, après Kant, que la dignité implique que la personne soit traitée comme une fin et jamais comme un moyen, Peter Bieri puise dans la vie quotidienne, dans le cinéma - Max et les ferrailleurs de Claude Sautet, Le cercle rouge de Jean-Pierre Melville - et surtout dans la littérature. Le choix de Sophie de Styron, Lord Jim de Conrad, 1984 d’Orwell, Qui a peur de Virginia Woolf ? d’Edward Albee ou L’adversaire d’Emmanuel Carrère servent de point d’appui pour enrichir cet essai qui ouvre des pistes heureuses.
Chaque jour, nous sommes confrontés à la notion de dignité qui reste, pour l’auteur de La liberté, un métier (Libella-Maren Sell, 2011), une question essentielle pour vivre une vie d’homme. Elle engage la manière dont les autres me traitent, dont je les traite et dont je me traite. La garder est une force, la perdre une infamie, la retrouver un bonheur. Peter Bieri ne propose pas une théorie de la dignité, cela n’aurait aucun sens, mais ce qu’il appelle une "expérimentation intellectuelle". Il cherche ainsi à rendre visible un principe primordial de l’existence et de la mort dont les écrivains se sont emparés depuis les origines, depuis Homère. Quelque chose comme ce sanglot baudelairien qui vient mourir au bord de l’éternité. L. L.