4 septembre > Essai France > Henri Leclerc

Vers 11 ans, Henri Leclerc vit sa première injustice. On l’accuse, à tort, d’avoir jeté une pierre dans une fenêtre. Les apparences sont contre lui, puisqu’il est pris un caillou dans la main. La chose n’est pas grave, mais pour étouffer l’affaire auprès du voisinage il cède à l’injonction de ses parents. "C’est quand j’ai avoué que j’ai menti."

Le grand avocat pénaliste né en 1934 n’a pas oublié cette anecdote. Elle traverse ses Mémoires comme un fil rouge. Il se souvient aussi de ses parents aimants et exemplaires, des discussions familiales autour du procès de Pierre Laval, personnage certes détestable et détesté, mais qui n’a pas été défendu comme il aurait dû l’être par Albert Naud. Ce dernier fut son patron, son maître, celui qui lui a permis de s’accomplir, l’irréductible militant contre la peine de mort. Il lui a transmis le goût de la plaidoirie et sa bibliothèque juridique.

Le sentiment du grain de l’injustice dans la mécanique judiciaire décide Henri Leclerc dans le choix de ses dossiers ou dans son action à la Ligue des droits de l’homme. En cheminant dans les grands procès de l’après-guerre il délivre ses interrogations sur la manière dont le droit est rendu. Qu’est-ce qu’une peine juste ? N’y a-t-il pas juste des peines ? Qu’est-ce que la justice ?

"J’ai plaidé pour tant de vivants avant qu’on ne les juge qu’ils font tous dans ma mémoire une farandole tumultueuse dont je n’ai livré que quelques images." Mais quel film ! Il a pour cela le sens du mot qui porte, de la phrase qui fait chavirer l’intime conviction. Avec Henri Leclerc, on est de plain-pied dans le XXe siècle, celui de tous les excès, de toutes les attentes. Il évoque ainsi son "ange" qui l’aide à plaider, cette inspiration du sujet, cette voix qui porte, cette langue qui s’acharne à convaincre.

Comme Maurice Garçon, René Floriot, Jacques Vergès, Robert Badinter, Jean-Pierre Mignard, Georges Kiejmann, tous ces ténors du barreau qui traversent l’ouvrage comme des repères, Henri Leclerc se montre en homme de conviction qui ne veut pas laisser les historiens gâcher sa mémoire. Trop de preuves finissent par fatiguer la vérité. L’avocat doit s’en souvenir lorsqu’il aborde les cas de Richard Roman, Michel Vaujour, Roger Knobelspiess, Florence Rey, Véronique Courjault ou Dominique Strauss-Kahn. Ce même amoncellement de preuves ne le persuade pas dans le cas d’Omar Raddad, puisqu’il défend la famille de la victime Ghislaine Marchal.

Dans ses Mémoires, Henri Leclerc brosse aussi le portrait d’une certaine France, celle de ses grands-parents instituteurs qui lui ont communiqué le goût de la lecture, des dictées et surtout de la meilleure école qui soit, l’école buissonnière. C’est là que se sont affûtées cette conscience de gauche, son amitié avec Michel Rocard, sa détestation de "l’odeur collante" de la prison qu’il éprouve la première fois qu’il entre à la Santé, cette manière d’être fidèle à sa prestation de serment. "Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité." Promesse tenue. Laurent Lemire

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