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Le défi des Grandes Largeurs

Les trois libraires des Grandes Largeurs : Emilie Pautus, Lucie Sawina et Roxane Moreil. - Photo CLARISSE NORMAND/LH

Le défi des Grandes Largeurs

Sur la route des 5esRencontres nationales de la librairie, le 30 juin et le 1er juillet à Marseille,Livres Hebdofait une dernière étape à Arles, à la librairie Les Grandes Largeurs, qu'Emilie Pautus a créée il y a un an et demi dans une ville marquée par le poids d'Actes Sud et de sa librairie du Mejean.

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Par Clarisse Normand
Créé le 21.06.2019 à 12h45

Sous un soleil éclatant, elle discute devant sa librairie avec une amie de maternelle tout en fumant une cigarette. Après six ans passés au Square, à Grenoble, et sept à La Manœuvre, à Paris (11e), Emilie Pautus est revenue en 2017, à 34 ans, dans sa ville natale pour y ouvrir Les Grandes Largeurs, une librairie généraliste de 90 m2 dans le cœur historique d'Arles.

S'implanter sur les terres d'Actes Sud et de son complexe culturel construit autour d'une librairie de 450 m2 réalisant plus de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel était un défi. Mais un défi raisonné et mesuré que la jeune femme n'a pas hésité à relever quand elle a su que Harmonia Mundi fermait sa librairie arlésienne en avril 2017. « Elle réalisait 500 000 euros de chiffre d'affaires avec le livre, se souvient Emilie Pautus. Je savais que je pouvais récupérer une partie de ses clients, notamment les militants qui défendent les petites structures et qui n'apprécient pas l'emprise économique et culturelle d'Actes Sud sur la ville. Ainsi, ce qui pouvait apparaître comme une difficulté a au contraire été un atout. A côté de la clientèle de particuliers, je me suis aussi rapprochée des structures associatives et militantes, dont certaines travaillaient avec Harmonia Mundi. »

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Partis pris revendiqués

Se félicitant du soutien de la profession, à commencer par le Centre national du livre et l'Adelc, la jeune entrepreneuse n'entend pourtant pas se reposer sur la sympathie que suscitent les petites structures. « Pas question de jouer les David contre Goliath, et encore moins la carte du misérabilisme, assure-t-elle. Je veux que les gens viennent chez moi parce qu'ils apprécient ce que je leur propose, pas parce qu'ils veulent soutenir un petit contre un gros ». Emilie Pautus a construit une librairie de taille moyenne, qui affirme son identité avec des partis pris revendiqués. Son nom lui-même en témoigne. Il a été choisi en hommage à Henri Calet, « un auteur que j'aime beaucoup mais qui n'est plus beaucoup lu, déplore la libraire. Sauf ici où ses livres, et en particulier Les grandes largeurs, sont placés à la caisse ».

Dans un espace clair et aéré, où il est facile de circuler, la librairie a gardé la mémoire de la boucherie qui occupait les lieux auparavant. La chambre froide, en particulier, a été conservée. Elle accueille les rayons cuisine et tourisme avec, au mur, les crochets de boucher. Des luminaires maison ont été fabriqués à partir de moules à tarte et de conserves en verre. Expérimentée, Emilie Pautus a aussi porté une attention particulière à l'emplacement de ses rayons. « J'ai fait le choix, non académique, d'installer les sciences humaines à l'entrée du magasin, explique-t-elle. La spatialisation de l'offre est un élément identitaire fort. Ici les grosses locomotives ne sont pas mises en avant. »

La libraire défend une offre pointue. « Nous avons la chance, à Arles, d'avoir une clientèle éclairée qui a vite répondu à nos propositions », se félicite la jeune femme, qui a prévu de « pousser le curseur encore plus loin ». Pour autant, temporise-t-elle, « il ne faut pas se couper des autres clients. Sachant que je ne peux pas avoir tous les livres, j'ai développé un service de commandes performant. La librairie est livrée tous les jours et fait partir les commandes clients le plus vite possible. C'est un de nos points forts même s'il a un coût qui peut atteindre 1 500 euros par mois, soit l'équivalent d'un salaire. » Revendiquant une haute qualité de service, la gérante a déjà embauché deux salariées, dont l'une, Roxane Moreil, ex-collègue à La Manœuvre, l'accompagne depuis le début.

Acteur culturel local

Emilie Pautus entend s'inscrire dans le virage culturel pris par la ville d'Arles, qui accueillera en 2020 un ambitieux centre d'art contemporain créé par Maja Hoffmann, riche mécène et sœur de la P-DG de Libella, Vera Michalski, et positionner sa librairie comme un acteur culturel local. Consciente que certaines places ont déjà été prises, elle a commencé à développer de nouveaux projets, dont un festival dédié aux sciences humaines, organisé en avril dernier en partenariat avec la revue locale L'Arlésienne et un café associatif.

Installée dans un quartier qui se redynamise avec l'arrivée de nouveaux commerces, Les Grandes Largeurs a aussi bénéficié de la fermeture, il y a un an, de la Librairie du Palais. Aujourd'hui, la ville de 50 000 habitants ne compte plus que deux librairies généralistes. Satisfaite d'avoir atteint son objectif de 340 000 euros de chiffre d'affaires dès le premier exercice plein, clos en février dernier, Emilie Pautus vise la barre des 500 000 euros d'ici à cinq ans. « Une nécessité pour atteindre l'équilibre financier et me payer, ce qui n'est pas le cas pour l'instant », annonce la chef d'entreprise, qui se dit sereine face à l'arrivée programmée de la Fnac, en octobre dans une zone commerciale de périphérie.

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