Jésuite, jésuitique… autant dire vétilleur, voire hypocrite. La Compagnie de Jésus n’a pas toujours eu bonne presse de ce côté-ci des Pyrénées. Pourtant elle a produit et formé, même au pays de Voltaire, de très grands esprits, philosophes versés dans la paléontologie comme Teilhard de Chardin ou dans la psychanalyse et la sociologie comme Michel de Certeau. Dans l’histoire il y a eu Matteo Ricci, grand passeur de la culture chinoise. Aujourd’hui l’un de ses plus éminents représentants n’est autre que Jorge Bergoglio, alias le pape François.
Une intelligence souple toujours prête à s’ouvrir au monde et à en embrasser les complexités semble être la marque de fabrique de l’ordre fondé par Ignace de Loyola (1491-1556). Aussi le lecteur curieux se penchera-t-il avec intérêt sur la biographie de ce "conquistador" de Dieu, la première de la plume d’un non-jésuite, enrichie de notes par son auteur, Enrique García Hernán, pour la version française. On connaît la ferveur missionnaire des jésuites qui ont diffusé le message du Christ de par le monde et ont été par la beauté flamboyante d’un style baroque les meilleurs spin doctors de la foi. L’efficacité et le pragmatisme sont inscrits dans l’ADN de cette congrégation catholique. Il faut dire que Iñigo, ou Ignacio en castillan, premier supérieur de l’ordre de la "SJ" (Societas Jesu, "Compagnie de Jésus"), fut le héraut de la réforme tridentine, réaction du Vatican contre le protestantisme, et déploya des trésors d’organisation martiale. La bulle pontificale de 1540 acceptant les statuts de l’ordre a pour intitulé Regimini militantis Ecclesiae : "pour le gouvernement de l’Eglise militante".
Mais au-delà de la caricature du suppôt de la Contre-Réforme - n’est pas mentionné une seule fois le nom de Luther dans ses écrits - et de l’obéissance aveugle - la formule perinde ac cadaver, "[soumets-toi] comme un cadavre" n’est pas sienne -, voici une vie du saint qui le restitue de chair et d’os (le jeune page de la reine Juana et homme d’armes fut un séducteur sanguin) mais dans sa généalogie intellectuelle : l’humanisme d’Erasme, le cercle des Illuminés (alumbradismo) dont la doctrine se centre sur l’intériorité à Barcelone, ou l’atmosphère philoprotestante de Paris, villes où il étudia. Le futur réformateur et saint saura réconcilier introspection et action par une notion "clé" apparaissant pas moins de 19 fois dans ses Exercices spirituels : le service. Agir dans le monde étant encore une autre manière de louange. Sean J. Rose
