15 MARS - ESSAI France

Jean Clair- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

On lit peu ou pas les textes des catalogues. On a tort, car certains s'apparentent à de vrais petits essais. Jean Clair s'en est servi comme matériaux d'origine pour réunir ces sept textes inspirés par des expositions qu'il a pour la plupart montées, en France ou à l'étranger. Non seulement l'ensemble est passionnant, mais il s'en dégage une belle cohérence. Bien mieux, ce volume, qui paraît dans la collection de J.-B. Pontalis avec des illustrations éloquentes, peut être considéré comme une magistrale introduction à l'oeuvre de cet historien de l'art dont on ne mesure pas toujours l'insatiable curiosité et la fécondité des rapprochements qu'il opère entre les sciences et les processus de création.

Par monstre, il faut entendre le monumental, le dérangeant, la marge. Non seulement Jean Clair nous explique ce que nous montrent les monstres - c'est même leur but de montrer -, mais il raconte comment ils sont nés. Pas dans le cerveau de quelques psychiatres toqués, non, mais dans les bureaux bien astiqués du Muséum national d'histoire naturelle, quand Geoffroy Saint-Hilaire décide en 1818 de créer des monstres. La tératologie - la science des monstres - était née. Et elle allait fasciner les poètes maudits, les écrivains romantiques et les peintres décadents.

La chose n'était pourtant pas évidente. "L'art prétend rivaliser avec la science et poursuivre un même objet, au moment même où l'art et la science se séparent." En soulignant ce paradoxe, Jean Clair regrette l'abandon de la forme canonique du corps pour cette exception monstrueuse qui devient la règle. On peut ne pas souscrire à ce point de vue, mais on ne peut qu'être impressionné par le savoir de l'auteur et la mise en relation de choses que nous n'avions pas vues.

Dans son étude de l'homoncule, du géant et de l'acéphale - les trois figures qui traversent le livre -, Jean Clair montre l'articulation qui s'opère autour de ce qu'il nomme l'"hubris", c'est-à-dire la démesure dans la violence, l'outrage et le passionnel. "La présence dans l'art d'aujourd'hui, sous des formes biologiques tout aussi singulières que celles des monstres des temps passés, le géant, l'homoncule et l'acéphale, sont les manifestations de l'hubris de la modernité." L'académicien semble le déplorer, mais il en parle avec une telle ferveur qu'il nous fascine en retour pour ces créatures à la beauté terrifiante.

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