Alexandre Romanès est, parmi le peuple tsigane qui n'écrit pas et ne lit guère, une sorte de prodige. Il en a conscience, et non sans humour : "Un paysan offre son champ aux Gitans pour passer l'hiver, raconte-t-il. Le village passe de trois cents habitants à six cents. Les commerçants [...] se frottent les mains. Sauf le libraire. » Sa carrière littéraire est étonnante, initiée chez Gallimard par Jean Grosjean, aujourd'hui "parrainée" par ses amis Christian Bobin et Lydie Dattas (préfacière du présent recueil) ou Guy Goffette. Jusqu'ici, Alexandre Romanès avait publié deux beaux recueils de poèmes tout empreints de spiritualité, Paroles perdues, en 2004, et Sur l'épaule de l'ange, en 2010.
Aujourd'hui, il change un peu de registre. Moins spirituel, plus familier, plus actuel aussi. Romanès se fait l'ambassadeur des Tsiganes, Gitans, Roms et autres tribus auprès des gadjos que nous sommes. Expliquant tranquillement les moeurs et les coutumes de peuples qui, souvent méconnus, inquiètent et font peur, voire provoquent de violentes réactions de rejet. "Aux yeux des sédentaires, nous sommes toujours des voleurs de poules ! » dit Romanès. Il nous accueille au coin de son feu, dans son cirque, et nous invite à écouter les gens de sa tribu qui, à défaut de savoir écrire, savent drôlement bien parler et raconter. Les Anciens surtout.
Un peuple de promeneurs, livre inclassable, livre métis, où se mêlent haïkus, anecdotes, aphorismes, et même quelques people, comme Jean Genet ou Yehudi Menuhin, est avant tout un livre intime. Où le Christ est toujours présent au détour d'une page, d'une histoire. Un jour, Romanès a une "altercation un peu vive » avec un gars qui fume un gros cigare, et lui dit, croyant l'humilier : "Je ne peux imaginer le Christ avec un cigare. » "Moi, je peux l'imaginer, répond l'autre, d'ailleurs ça lui irait très bien. » Un livre décalé, très proche de l'univers de Chagall, lequel aurait pu être un Tsigane.