Laurence Engel - Comme tout secteur culturel, il se distingue par son caractère dual très marqué. D’un côté, il présente une dimension symbolique déterminante autour des valeurs de création et de transmission. C’est là que se noue la relation intime avec le livre. L’attribution récente du prix Nobel à l’écrivain français Patrick Modiano témoigne de cette dimension et de son importance à l’échelle d’une nation. D’un autre côté, c’est un secteur économique important. C’est même la première des économies culturelles. Avec des acteurs dynamiques et nombreux ; mais confrontée à plusieurs défis : la crise économique, l’érosion de la lecture, le numérique bien sûr et la venue de groupes puissants, notamment étrangers, qui bouleversent les règles. Cette double dimension, symbolique et économique, explique et justifie le recours au concept d’exception culturelle et aux outils de régulation qui l’accompagnent. L’équilibre de cet ensemble en dépend. Il faut absolument les préserver.
Pas plus qu’un autre. En revanche, il gagnerait à ce que les professionnels dépassent les différends qui peuvent surgir et travaillent de manière plus convergente tout en se rendant plus visibles. Aujourd’hui, l’exception culturelle, y compris la loi sur le prix unique du livre, est bousculée notamment par Bruxelles. Il faut aller la défendre et ne pas avoir peur de faire du lobbying. C’est aussi dans cette optique fédératrice que s’inscrit la mission du médiateur.
Je m’inscris dans le cadre de l’action conduite par le gouvernement depuis 2012 pour compléter un dispositif largement consensuel en France. A côté des nouveaux outils économiques, comme le fonds d’avance de trésorerie pour les librairies confié à l’Ifcic (Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles), et juridiques, comme la mise en place d’agents assermentés à constater les infractions à la loi sur le prix unique, il y a le médiateur. C’est un outil de régulation qui doit contribuer, grâce à son mode de fonctionnement réactif et souple, à la préservation des équilibres économiques entre les acteurs du secteur. C’est aussi une chance à saisir pour les professionnels.
Le médiateur est une autorité administrative indépendante. Je ne dépends donc pas d’une autorité politique ou administrative. Toutefois, je dois remettre au ministre de la Culture un rapport annuel sur mes activités. La médiation pour le livre est d’ailleurs physiquement installée au ministère. Mais la structure a vocation à être légère. Au-delà du soutien matériel du ministère, elle se compose aujourd’hui de deux personnes : René Phalippou, jusqu’alors au Service du livre et de la lecture, et maintenant détaché auprès du médiateur, et moi-même qui conserve mes fonctions de magistrate à la Cour des comptes. Mais peut-être faudra-t-il faire évoluer l’effectif… Nous aviserons en fonction de notre charge de travail.
L’enveloppe annuelle affectée à la médiation, y compris les rémunérations, la prise en charge des locaux, les frais de déplacement, est d’environ 200 000 euros.
Comme l’indique le texte de loi, le médiateur a une fonction à la fois de régulateur et de conciliateur sur les questions de commercialisation. Il doit aider les professionnels, d’importance très variable, à se mettre autour d’une table et à régler leurs différends sans recourir à des procédures judiciaires longues et coûteuses. Mais le médiateur est aussi une vigie veillant à la bonne application de la loi. Son adaptation à l’ère numérique doit passer par la définition d’usages efficaces, sans forcément devoir revenir devant le Parlement. Pour autant, le médiateur n’a pas de pouvoir d’injonction. Juste un pouvoir de recommandation, ce qui est déjà puissant dès lors que cette recommandation peut être rendue publique. Par ailleurs, dans le cas de pratiques contraires aux lois sur le prix du livre, le médiateur peut saisir la juridiction compétente.
Je suis au service des professionnels. Tout acteur de la filière peut donc me saisir, qu’il soit libraire, diffuseur ou éditeur, agissant de manière individuelle ou collective comme pourrait le faire un syndicat. Le mode opératoire est très simple : il suffit de m’envoyer, par mail (1) ou par courrier recommandé, un dossier expliquant le cas. Parallèlement, je vais travailler en réseau avec les différentes instances professionnelles, les nouveaux agents assermentés, mais aussi avec le Centre national du livre, le ministère dans sa dimension régalienne, l’Autorité de la concurrence… Dans ce cadre, j’ai la possibilité de m’autosaisir afin de formuler des préconisations sur des problématiques d’actualité.
J’ai commencé à rencontrer les professionnels. Des questions pratiques sont posées à la médiation. Je devrais être prochainement interpellée sur des sujets précis, dont je ne parlerai évidemment pas ici ! Mais il y a des sujets de préoccupation connus de tout le monde et je compte m’y atteler. Je pense aux marketplaces, aux conditions de vente des livres d’occasion, aux offres groupées, ou encore à l’édition publique. Enfin, j’espère que ma fonction aidera également au rassemblement de la profession autour de la défense de ses intérêts.
Je vais me déplacer en région. Je commence en Paca à la fin du mois. Il s’agit pour moi de connaître les attentes des professionnels mais aussi de leur expliquer ma fonction afin d’éviter tout malentendu et de faciliter la saisine du médiateur. C’est important : nous créons ensemble la fonction ! Par ailleurs, j’espère bien pouvoir faire avancer certains dossiers au cours du premier semestre 2015.
(1) contact@mediateurdulivre.fr