Entretien

L’Amérique d’Arnaud Nourry

Photo olivier dion

L’Amérique d’Arnaud Nourry

Dix ans après avoir acquis Time Warner Books, rebaptisé Hachette Book Group, Hachette Livre diversifie l’activité de sa filiale américaine en reprenant Perseus. Pour son P-DG, qui interviendra dimanche au congrès de l’Union internationale des éditeurs sur "la révolution digitale dans l’édition de livres", sa décennie aux Etats-Unis a permis au groupe français de se placer au cœur de l’innovation numérique et de peser dans l’édition mondiale.

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Par Fabrice Piault
Créé le 08.04.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 08.04.2016 à 08h24

Le 22 mars, Arnaud Nourry s’envolait pour New York. Le P-DG d’Hachette Livre a beau avoir fait le voyage de nombreuses fois chaque année au cours de la dernière décennie, ce vol-là avait une saveur particulière. Il s’agissait d’aller fêter les dix ans de l’acquisition de Time Warner Books, très vite rebaptisé alors Hachette Book Group (HBG), avec les équipes américaines du groupe. L’une des cinq "majors" de l’édition aux Etats-Unis, la filiale d’Hachette constitue "la plus belle acquisition que nous ayons faite", confie Arnaud Nourry à Livres Hebdo. "Je le dis en dépit d’une année 2015 qui n’a pas été formidable pour HBG, poursuit-il. Le P-DG d’Hachette Livre se félicite de ce que "l’équipe éditoriale d’origine est toujours là, il y a une vraie continuité". En outre, "financièrement, c’est une opération assez remarquable. Le facteur Twilight n’y est pas pour rien, qui a généré pour Hachette 500 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le monde en trois ans, soit un peu plus que le prix d’achat d’HBG". Enfin, cette acquisition "nous a placés au cœur de l’innovation dans le numérique et nous permet par ailleurs de peser solidement dans l’édition mondiale. Quand on veut discuter avec Amazon ou Google, si on n’est pas de chez eux, on ne pèse pas. Cette présence est importante y compris pour l’édition française. Nous avons finalement réussi à instaurer par voie contractuelle avec nos clients aux Etats-Unis une sorte de loi Lang du numérique."

 

"Un enjeu de diversité"

Annoncé le 1er mars, et bouclé le 31, le rachat de la branche édition du groupe indépendant Perseus, dont les activités de diffusion et de distribution sont reprises parallèlement par le grossiste Ingram, confirme l’engagement d’Hachette Livre aux Etats-Unis. Mais il intervient au terme d’un processus mouvementé : l’acquisition avait déjà été annoncée une première fois fin juin 2014, avant d’être abandonnée début août de la même année. "J’ai signé il y a deux ans un accord de confidentialité qui m’interdit de préciser pourquoi la transaction ne s’est pas faite alors, précise Arnaud Nourry. J’avais été contacté par le fonds d’investissement propriétaire de Perseus, qui voulait vendre l’ensemble. J’étais d’accord pour racheter l’édition, mais nous ne souhaitions pas être propriétaires de l’ensemble. Nous sommes donc convenus qu’HBG acquerrait Perseus en en rétrocédant la distribution à Ingram. "

Pourquoi la vente se concrétise-t-elle finalement deux ans plus tard ? "Parce que nous étions déjà d’accord il y a deux ans, répond le P-DG d’Hachette Livre. Entre-temps, Perseus a changé d’actionnaire, avec un nouveau fonds d’investissement prêt à vendre séparément l’édition et la distribution. Et même s’il y a eu des concurrents et des enchères, nous étions en position favorable car nous avions déjà eu accès à tous les éléments du dossier et savions comment détourer les deux ensembles. La partition de Perseus entre Hachette et Ingram constitue l’option la plus stable." Reste à réaliser ce "détourage". "Le processus de séparation doit durer un an", estime Arnaud Nourry.

Pour HBG, surtout connu pour ses best-sellers en littérature, l’acquisition de Perseus, essentiellement implanté dans la "non-fiction", des essais et documents, parfois pointus, aux guides de voyage, tient du grand écart. "HBG produit environ 1 000 titres par an, soit beaucoup moins que ses concurrents, avec le meilleur ratio dans les classements de meilleures ventes du New York Times. Il se situe au centre de gravité de l’édition commerciale, admet le P-DG d’Hachette Livre. Il est d’autant plus important pour nous de compléter notre portefeuille de marques avec de la non-fiction, avec des ouvrages qui se vendent sur plusieurs années et qui font du fonds. C’est un enjeu de diversité, car l’édition américaine repose sur les agents, qui ne proposent pas tous les projets à nos filiales Grand Central et Little, Brown. Avec Perseus, nous allons accroître notre diversité et couvrir tout le champ éditorial américain." En tout cas, "nous ne changerons pas l’ADN de Perseus, qui constituera chez HBG une division de plus, la troisième par la taille, à côté de Grand Central, Little, Brown, Little, Brown for Young Readers, Orbit, Nashville et Hachette Audio".

 

"L’avenir du livre, c’est le livre"

Cette opération apporte aussi à Hachette "90 millions de dollars de chiffre d’affaires et une rentabilité supplémentaire à notre outil de distribution", précise Arnaud Nourry. Et de marteler que "le livre a un avenir. C’est une industrie qui va durer, même si elle n’affiche pas une grande croissance. L’avenir du livre, c’est le livre." Pour le P-DG d’Hachette Livre, "c’est moins la valeur d’usage du livre numérique que son prix qui a permis son développement car, dans les pays où on n’a pas cassé les prix, il n’a pas pris, il n’a pas généré un marché de masse. Aux Etats-Unis, nous aussi avons bénéficié de ces ventes à 99 centimes, sur lesquelles on nous reversait 8 dollars. Mais, depuis que nous sommes revenus, avec le contrat d’agence, à des conditions de marché plus "normales", le papier se redresse et le numérique, tout en restant très important, tend à redescendre de 25 à 20 % de part de marché."

Le numérique ne disparaîtra pas pour autant. Arnaud Nourry a d’ailleurs été invité à s’exprimer, dimanche 10 avril à Londres, lors du congrès de l’Union internationale des éditeurs sur le thème "La révolution digitale dans l’édition de livres : le meilleur est encore à venir". "Nous avons des choses à inventer dans le numérique, des formats nouveaux, hors du champ de l’ebook homothétique", précise-t-il. Au demeurant, "si on va assister pendant deux ou trois ans à une baisse du numérique dans les pays anglo-saxons, la situation est différente ailleurs où il conserve une marge de progression. En France, où les gens se sont équipés de tablettes plutôt que de liseuses pour lesquelles il n’y a pas eu d’engouement, les éditeurs ont eu la sagesse de ne pas laisser les prix s’effondrer et nous sommes à 2-3 % des ventes en numérique (7-8 % pour la littérature), mais rien ne garantit qu’on atteindra 10 %."

"Malgré la possibilité de l’acheter moins cher à toute heure du jour et de la nuit, le livre numérique s’est attaqué à un objet somme toute parfait : pérenne, bon marché, pratique, beau", observe le P-DG d’Hachette Livre. Pour lui, "le numérique devrait prendre une place importante dans l’éducation. S’il n’y progresse pas, c’est parce que manquent les financements et la formation des enseignants."

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