Imaginez posséder une malle aux trésors, pleine de photos oubliées... Nul ne connaît plus l'identité des principaux concernés, alors le souffle de l'imagination peut s'éveiller. Tel est l'objectif démesuré de « The Anonymous Project » : récolter, préserver et numériser un maximum de diapositives et de négatifs (couleurs) de ces cinquante dernières années. Ils donnent le pouls d'une époque révolue. Cette bibliothèque composée à ce jour de 700 000 clichés est présentée sur un site. Elle se prête aussi à des manifestations et des interprétations créatives, comme en témoignent les livres d'Arnaud Catherine (« Andrew est plus beau que toi ») et de Justine Lévy. Ils ont joué le jeu d'imaginer des histoires bien à eux, à partir d'un choix de photographies.

Alors que la romancière a souvent mis sa famille en avant, elle s'est orientée tout naturellement vers ce thème universel et inspirant. Toute cellule familiale ne renferme-t-elle pas des névroses et des joies éternelles ? Avec son ton et sa sensibilité, qui n'appartiennent qu'à elle, Justine parvient à faire rire ou frissonner. Comme devant ce petit garçon au début du chemin de sa vie. « Il croit que tout est possible. Il ne sait pas qu'un jour il se réveillera, il sera adulte... Ça ne fait même pas de bruit, un rêve quand ça s'écrase. » Dans l'Amérique d'antan, elle capture merveilleusement les instants de grâce, de fêtes (barbecue, mariage, anniversaire) et les moments volés. A l'instar de cet homme, torse nu, faisant la sieste. « La nuit seulement il est à moi seulement à moi », semble chuchoter une voix qu'on ne verra pas.

Que dévoile-t-on sur une photo ? Qui pourrait concevoir qu'elle aurait, un jour, sa place dans une mémoire romanesque ou sociologique ? Aucune logique dans ce choix photographique, si ce n'est celle de se laisser aller à faire dialoguer ces êtres disparus. Il y a une volonté de saisir l'éternité dans une image, mais là, elle nous fait un pied de nez pour nous renvoyer à notre propre miroir. Qui sait, voici peut-être, pour Justine Lévy, un pas de côté pour s'envoler vers la fiction pure. Outre une exposition « The Anonymous Project », à la Gare de Lyon, à Paris, un beau livre est prévu prochainement chez Taschen.