9 janvier > Roman France

A la rentrée 2012, Lucile Bordes nous avait charmé avec un très fin premier roman, Je suis la marquise de Carabas (Liana Levi, 2012, repris en « Piccolo ») inspiré par l’histoire de ses ancêtres, fondateurs d’un théâtre de marionnettes itinérant. Ce deuxième titre, Décorama, se présente d’abord comme une pure fiction. Mais son cadre, une ville en bord de Méditerranée jamais nommée, station de villégiature chic au XIXe siècle, puis foyer économique prospère quand les chantiers navals, aujourd’hui fermés, faisaient vivre les habitants, évoque La Seyne-sur-Mer où l’auteure réside : un décor de cartes postales anciennes, converti au tourisme saisonnier et livré aux opérations de « réhabilitation ».

C’est là que Georges, le narrateur, est né il y a un peu plus de quarante ans, au temps où il y avait encore des maisons de ville, des fermes laitières en bord de marais côtier, pas de « route de la Corniche »… au ras de l’eau. Agent immobilier devenu peu à peu étranger au territoire de sa jeunesse, il a démissionné pour se faire embaucher comme gardien du cimetière central et habite sur place dans le logement de fonction. De son domaine préservé avec vue sur mer, ce fils de commerçants observe, désorienté, le processus de démolition, « le combat titanesque du temps contre l’espace ». C’est une « vigie », de ceux qui «voient encore ce que d’autres ne voient plus, ou n’ont même jamais vu ». Présent et passé se superposent, prenant les traits de Pénélope, ressurgie des années de lycée. De Mélie, une très jeune Italienne assassinée par son vieux mari, spectre d’un tragique été de son enfance, dont le gardien retrouve le nom sur la stèle d’un caveau abandonné. Se plaisant dans la compagnie des anciens, il rend régulièrement visite à la vieille Apolline, en maison de retraite depuis que sa bastide a été vendue au notaire qui gère les biens des parents de Georges : un immeuble vétuste hérité des grands-parents, cible lui aussi des promoteurs.

Lucile Bordes écrit avec une grâce fluide, attentive à tout un tas de menus détails - la façon dont les vieilles démêlent les laisses des chiens qui attendent à l’entrée du cimetière, la fabrication de pelotes de laine à partir d’écheveaux… -, dissimulant sous des airs de conte, un constat navrant et une réflexion sensible sur l’esprit des lieux perdus.

Véronique Rossignol

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