Rien n'est noir ni blanc, encore moins sous un régime dictatorial qui brouille les frontières entre le bien et le mal. Les livres d'histoire retiennent surtout les dates clé, mais qu'en est-il de ceux qui les ont vécues au quotidien ? Ceux dont l'existence a changé à jamais de consistance. Horacio Castellano Moya en sait quelque chose. Si ce « messager en exil » a vu le jour au Honduras, il a grandi au Salvador, théâtre de coups d'état et de guerres. Un pays que lui-même a dû fuir en 1979, mais qui continue à habiter son imaginaire. L'auteur s'y projette en 1944, alors que le général au pouvoir se lie avec les dirigeants nazis. Le climat s'envenime lorsque le peuple gronde et que les libéraux rêvent de le renverser. Moya ne cherche pas à reconstituer une réalité historique, mais à comprendre comment elle déteint sur la vie de tout un chacun. Personne ne peut y échapper, même pas le grand avocat Pericles. Il périclite lorsqu'il se fait arrêter. Lui, qui a soutenu le régime, est devenu un fervent opposant que l'on muselle. En prison, il découvre la torture, les privations et les condamnations. « Personne ne devrait juger la peur de l'autre. »
Seules les visites de sa femme Haydée, sont une bouffée d'oxygène. C'est elle la véritable héroïne de ce roman. A travers son journal, on plonge dans une ère dictatoriale avec ses arrestations aléatoires, ses exécutions sommaires et ses disparitions quotidiennes. Parmi celles-ci, il y a son propre fils Clemente, qui livre aussi son propre récit. Ce bon vivant a basculé malgré lui, du côté des conspirateurs, mais loin d'être un héros, il se prend les pieds dans le tapis. « Tu pensais vivre une aventure », lui murmure son compagnon d'infortune, mais il devient une bête traquée. Son versant de l'histoire, parfois hilarant, pointe à quel point « la trahison reste impardonnable ». Tandis qu'il se démène pour survivre, sa mère, Haydée, s'éveille à la politique. Elle et ses copines, hyperactives, semblent sorties d'un film d'Almodovar. C'est à toutes ces femmes anonymes que le roman rend hommage. Et si résister, c'était imaginer un mouvement révolutionnaire tout en continuant à aller chez le coiffeur ? Moya met en exergue ce constat d'Elias Canetti : « Ne vaudrait-il pas mieux qu'il ne reste rien, absolument rien d'une vie ? ». Notre passage sur terre n'est qu'éphémère, mais il peut parfois faire la différence dans un pays qui sombre dans l'horreur.
La mémoire tyrannique - Traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis
Métailié
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22 euros ; 320 p.
ISBN: 9791022610025