"Ce sera très compliqué car nous recevons beaucoup d’auteurs", admet Franck Bondoux, délégué général du Festival international de la BD, organisé fin janvier à Angoulême. Lui a obtenu un répit, car les nouvelles règles de subventions édictées par le Centre national du livre, qui conditionne ses aides à la rémunération des auteurs (1), ne s’appliquent qu’à partir de février. Mais le CNL recommande désormais fortement, "en termes de bonnes pratiques, à tous les organisateurs même non subventionnés par le CNL de rémunérer les auteurs", à l’exclusion des dédicaces. Franck Bondoux se sent concerné par le sujet - répondre à la paupérisation des auteurs -, mais, fait-il valoir, "il faut avoir la capacité de le faire. Si on devait tendre vers l’exhaustivité, ajoute-t-il en pensant à toutes les prestations fournies par les auteurs, ce serait un surcoût de 50 000 euros pour le FIBD. Sans parler de la charge supplémentaire pour la gestion de ces rémunérations". Et de plaider pour une "frontière" entre ce qui serait rémunéré ou pas, tenant compte de "la dimension promotionnelle" de certaines interventions.
Une revendication "légitime"
Au Marathon des mots, à Toulouse, Serge Roué fait remarquer que ce festival rémunérait déjà les lectures. Seuls les auteurs présents pour leur actualité n’étaient pas payés : ils vont l’être désormais. "Il faut entendre une revendication légitime tout en trouvant les moyens d’équilibrer les budgets", commente-t-il. Cela ne sera pas sans incidence : de 20 000 à 30 000 euros supplémentaires pour les trois Marathons de l’année, estime Serge Roué, qui espère une aide accrue du CNL. Sans cela, "on sera obligé de trancher dans la programmation". A la Comédie du livre, à Montpellier, Régis Penalva a lui aussi sorti la calculette : "Jusqu’en 2015, la Comédie du livre a rémunéré certains types de prestations : rencontres en milieu scolaire, conférences, lectures par l’écrivain, ateliers (pour les dessinateurs et illustrateurs). Cela représentait environ 10 000 euros. En 2016, la Comédie du livre s’engage à rémunérer toutes les interventions d’écrivains lors de rencontres avec le public. A programmation constante, la ligne "rémunération des auteurs" atteindra les 40 000 euros." Et de promettre que ce rendez-vous maintiendra "un nombre très important d’écrivains invités".
Un système "vertueux"
Marie-Louise Gourdon, à Mouans-Sartoux, a mis en place un festival du livre pour tous les publics, formule foisonnante où près de 300 auteurs sont invités. Ils viennent souvent pour défendre des idées, par militantisme, et la rémunération des débats n’a jamais été mise en place, ni demandée par les auteurs. Pas question pour elle d’en changer l’esprit. Elle a cependant chiffré à 10 000 euros le surcoût d’une rémunération des auteurs. Mais c’est moins ce budget supplémentaire qui l’inquiète - le CNL lui a proposé d’augmenter son aide - que le distinguo à établir désormais entre les auteurs rémunérés (ceux qui débattront) et les autres. Il y a tant d’ego à gérer dans ce milieu.
Mélani Le Bris, au festival Etonnants voyageurs, avoue qu’elle ne sait pas trop encore comment gérer cette question : "On réfléchit là-dessus… Mais ça complique les choses." Aux Quais du polar, à Lyon, Hélène Fischbach admet être "encore dans l’inconnu. On attend de savoir ce que le CNL va nous attribuer…". La directrice artistique a cru comprendre que le CNL accompagnerait cette mesure la première année ; quid des suivantes ? Elle s’inquiète d’éventuelles négociations à mener avec les auteurs étrangers, leurs éditeurs ou leurs agents. Et elle espère que les éditeurs joueront un rôle d’accompagnement de ces mesures. Quais du polar ne doit pas devenir "un salon de dédicaces".
Aucune réticence en revanche au Relief (Réseau des événements littéraires et festivals), précurseur dans le domaine de la professionnalisation du secteur, dont le dernier communiqué débute ainsi : "Evidemment qu’il faut rémunérer les auteurs, il serait indécent de ne pas le faire." Pour l’un de ses fondateurs, Olivier Chaudenson (Correspondances de Manosque, Maison de la poésie), le nouveau système peut même être "vertueux" : inviter moins pour choisir mieux. M. P.
(1) Voir "Salons du livre : subventions sous condition", LH 1058, du 16.10.2015, p. 33.