Fondées en 1949 avec l'éditeur Bordas, les reliures Brun affrontent un avenir des plus incertains. L'imprimeur Maury, leur voisin à Malesherbes et seul repreneur potentiel, a en effet retiré son offre le 22 novembre. Le tribunal de commerce de Nanterre cherche encore un nouveau sursis pour l'entreprise en liquidation depuis le 29 septembre. La solution pourrait venir d'un collectif d'imprimeurs. C'est le dernier épisode d'une série de défaillances qui frappent depuis quelques années les entreprises de façonnage-reliure. Elles sont à la fois victimes des caractéristiques du marché français, où le livre relié n'apparaît pas légitime en littérature générale, de la baisse générale des tonnages de fabrication (- 10 % l'an dernier, - 23 % depuis trois ans), et de la concurrence des imprimeurs qui proposent une chaîne de fabrication complète aux éditeurs.
Sévère reformatage
La Société industrielle de reliure et de cartonnage (Sirc) à Marigny-le-Châtel, dans l'Aube, relieur du Larousse et seule autre grande entreprise de ce secteur avec Brun, a échappé à la disparition en juin mais au prix d'un sévère reformatage : elle ne compte plus que 88 salariés, contre 217 avant la reprise conduite par Florence Maurice, ancienne directrice de la division graphique de Kodak France. Elle a réuni un financement apporté par des clients de la Sirc, des imprimeurs et des industriels de la région, complété de l'aide des pouvoirs publics. Les effectifs de Brun ont aussi été divisés par deux, mais progressivement : en 2004, dernière année bénéficiaire, la société comptait encore 230 salariés, qui avaient réalisé 23,2 millions d'euros de CA. En 2009 (dernier bilan disponible), le nombre de salariés est tombé à 115, pour 11 millions d'euros de chiffre d'affaires et 1,7 million d'euros de pertes.
Les relieurs français se trouvent en terre inhospitalière. Contrairement aux autres marchés, la quasi-totalité de la littérature générale est publiée dès le premier tirage en livres brochés. La production se concentre donc sur les livres en quadrichromie. Mais nombre de beaux livres sont imprimés en Asie, en Italie ou en Espagne, et la finition est évidemment faite sur place. Pour le pratique, la BD, le scolaire, les imprimeurs français se sont équipés des chaînes de reliure, court-circuitant ainsi les façonniers.
"Deux prestataires au lieu d'un représentent un risque supplémentaire : leurs plannings sont presque toujours déconnectés, et un retard de 24 heures chez l'imprimeur peut entraîner un décalage de livraison de trois jours si les machines du relieur ne sont plus disponibles quand les palettes de feuilles arrivent chez lui. Le transport prend de toute façon du temps, et présente un risque de maculage", explique Yves Lhommée, directeur de la fabrication de Flammarion.
Les éditeurs préfèrent donc n'avoir qu'un interlocuteur, qui simplifiera la gestion de leur fabrication. C'est ce qu'ont bien compris Pollina, en expansion continue depuis sa création à Luçon (Vendée), ou encore Loire Offset Titoulet à Saint-Etienne (Loire), entreprise née de la fusion d'un imprimeur et d'un relieur, qui vient d'achever le regroupement de toute sa fabrication dans un seul bâtiment de 21 000 m2. "Nous gagnons du temps, même si nos deux sites n'étaient distants que d'une dizaine de kilomètres : le façonnage peut commencer alors que l'impression n'est pas complètement terminée. Et nous assurons une meilleure qualité de travail à nos clients grâce à la relation directe entre les équipes, qui permet de régler immédiatement d'éventuels problèmes", explique Philippe Reymondier, P-DG de l'entreprise. En revanche, l'Imprimerie moderne de l'Est (IME) a renoncé à investir dans la reliure, estimant la rentabilisation impossible en raison de prix trop bas.
Disparitions
Brun, filiale de Qualibris, appartient à un groupe qui compte bien des imprimeries (Jean Lamour, Clerc, Hérissey, France Quercy), mais sur d'autres sites. Le groupe traîne aussi les conditions de sa constitution à base d'endettement en 2004. Sa filiale reliure, qui travaille beaucoup pour Hachette Livre (auparavant client de la Sirc), a dû affronter l'essoufflement du marché des livres vendus avec la presse, le plus souvent reliés, et à la disparition ou à la baisse de production de clients importants (Quid, Universalis, Reader's Digest).
Les productions exceptionnelles en dimension, tel le Who's who, ou en volume, tels les dictionnaires ou les manuels scolaires, que ces relieurs spécialisés peuvent assurer grâce à leur équipement, sont toutefois trop rares ou trop saisonnières pour constituer une activité continue. Les petites unités plus spécialisées, comme Babouot ("Bibliothèque de la Pléiade", bibles), semblent mieux résister. C'est le pari de Façonnage du Maine, à Chambray-lès-Tours (Indre-et-Loire), qui a repris l'ancien atelier de reliure et une vingtaine de salariés de Mame avec l'aide de Jouve.