Joseph, ou Yusuf, le narrateur, juif par sa mère, musulman par son père, est un jeune universitaire qui a fait sa vie aux Etats-Unis, à Berkeley, où il est spécialiste des manuscrits anciens. Une sorte d'Indiana Jones, en moins baroudeur. Sa mère est professeure de français, mariée à Bill, son beau-père. Quant à son père, Ahmed al-Raqb, il a toujours vécu au Caire, ne s'est jamais marié avec sa mère, même s'il est venu plusieurs fois les voir en Californie. Caractères incompatibles, sans doute, et puis, il ne pouvait pas quitter son poste : Ahmed, quoique musulman, a été le dernier gardien de la synagogue Ben-Ezra, la plus ancienne de Fustat, le vieux Caire, descendant d'une lignée qui remonte à son ancêtre Ali, au XIe siècle, un jeune chenapan embauché comme veilleur de nuit et presque adopté par la communauté juive.
En ce temps-là, les juifs étaient prospères, protégés par le calife, et se réunissaient pour prier autour de leur Torah, la plus précieuse. Quant à leurs manuscrits, leurs archives, interdits de destruction, ou bien ils les conservaient dans la gueniza, une mansarde au-dessus de la synagogue, ou bien ils les enterraient, à l'écart des tombes, dans le cimetière juif de Bassetine, qui fait aujourd'hui partie de la Cité des morts du Caire, bidonville où les vivants misérables sont hébergés chez les défunts.
A la suite d'une période de froid (dû à son coming out, même s'il n'y a pas eu entre eux d'explication), Joseph/Yusuf n'était pas retourné voir son père au Caire, jusqu'à sa mort, en 2007. Et le voici qui reçoit de sa part un paquet contenant un parchemin ancien, deux lettres en hébreu accolées l'une à l'autre, qui se révéleront dater du XIe siècle, et avoir été un charme censé faire aimer Ali de la jeune fille dont il était épris, la propre fille du bienfaiteur qui l'a fait embaucher à la synagogue. Ali les aurait subtilisés, et permis, en échange, à un brigand de dérober la précieuse Torah.
Presque mille ans après, en 1897, des jumelles anglaises, Agnes Lewis et Margaret Gibson, veuves et archéologues amateurs à Cambridge, montent une expédition pour retrouver cette fameuse Torah, en vain. En revanche, elles acquièrent en secret, vident et déménagent vers l'Angleterre le contenu complet de la gueniza de la synagogue Ben-Ezra.
C'est là, après avoir fait lui aussi chou blanc au Caire, que Joseph finira par venir s'installer, consacrant sa vie à la restauration de ces milliers de morceaux de parchemin, comme en mémoire de son lointain aïeul Ali, lequel avait fini par épouser sa cousine Fawzia, une musulmane ! A sa façon, moderne, il reprend la tradition familiale, fidèle à son nom, al-Raqb, « le vigilant », « le guetteur ».
Avec brio, les trois histoires et les trois époques s'entremêlent, comme les fils d'une tapisserie, tissée par un auteur à la fois facétieux et érudit. Né en 1979, David Michael Lukas est lui-même spécialiste de manuscrits anciens. Et désormais romancier.
Le dernier veilleur du vieux Caire - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Luc Piningre
Mercure de France
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 23,80 euros ; 272 p.
ISBN: 9782715248731