2 mars > Premier roman France

Une jeune fille en manteau rouge achète un ticket à la machine sur le quai. Le train arrive. Le conducteur a appuyé sur le bouton qui déclenche le signal indiquant la fermeture imminente des portes. Pas le temps de récupérer la monnaie. La jeune fille saute dans la rame. "Elle a réussi à entrer mais de justesse, il laisse échapper un soupir d’exaspération, les gens sont vraiment inconscients." Marie, quant à elle, défait son chignon, lâche ces cheveux blonds qui tranchent avec l’écarlate du manteau : "Ses yeux laissent fuir tout ce qui se passe, habitations rues, ronds-points, commerces sans rien chercher à ses yeux, ses recommencements de villes dont il n’y a que le nom : banlieue. […] Bercée par l’écoulement régulier des rails sous l’engin, Marie cède à la fatigue, bientôt s’assoupit." Si ce trajet en RER est un nouveau départ pour le personnage du premier roman d’Anne Collongues, Ce qui nous sépare, c’est un faux départ pour le lecteur, et le regard par lequel la primo-romancière et photographe nous invite à contempler le morne horizon de ce paysage périurbain n’est pas uniquement celui de la fugueuse : d’autres se frôlent et s’entrecroisent pour ourdir le drame ordinaire des gens du RER. L’auteure démultiplie les points de vue (au sens photographique), les fait ricocher : Alain, aujourd’hui réparateur d’appareils photo en banlieue parisienne, pense à sa maison en Provence aux volets rouge vif en apercevant le caban de Marie. Puis sa tête se tourne vers Frank qui "ne voit, dépassant du siège, que le haut du crâne rasé de Chérif qu’il suppose penché sur son téléphone" et peste par-devers soi "contre des délinquants comme lui". Mais Chérif n’est pas un voyou, il a juste le cœur qui bat la chamade, car le téléphone a affiché le nom de Cécile, dont il est épris et avec qui il a fait l’amour et qui est également la copine de son frère… Cigarette, c’est la grande gigue aux jambes fines, d’où son surnom, obligée de quitter son appartement à Paris qu’elle louait trop cher et de retourner aider les parents au bar-tabac en périphérie. Il y a aussi Laura et ce petit mot qu’on lui a glissé dans le métro… A travers ce texte étonnamment maîtrisé, Anne Collongues met en forme romanesque ce paradoxe que l’on observe dans les portraits collectifs, qu’ils soient sur toile ou en cliché : l’extraordinaire singularité des êtres au-delà de l’apparente uniformité et, vice versa, un air de familiarité en dépit de la disparité. S. J. R.

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