En fiction étrangère, la rentrée voit large, ouvrant ses horizons aux marges - communautaires, linguistiques - et aux formes littéraires les plus variées. Si les maisons mettent à l'honneur de nombreux primo-romanciers, elles misent aussi sur des valeurs sûres, à l'instar des Américains Richard Ford (L'Olivier) et James Ellroy (Rivages), de l'Égyptien Alaa El-Aswany (Actes Sud), ou encore de l'Irlandais Colm Tóibín, qui offre dans Long Island (traduit par Anna Gibson, Grasset) des retrouvailles avec Eilis Lacey, l'héroïne de Brooklyn.

Les éditions du Seuil misent sur Un jour d'avril (traduit par David Fauquemberg), de Michael Cunningham (Prix Pulitzer 1999 avec Les heures), tandis que Gallimard renouvelle sa confiance à Nathan Hill pour Bien-être, et accueille Nino Haratischwili pour La lumière vacillante (traduit par Barbara Fontaine). Quatorze ans après La porte des larmes, Flammarion défend Le pacte de l'eau d'Abraham Verghese (traduit par Paul Matthieu), ainsi que Le dernier rêve, de Pedro Almodóvar (traduit par Anne Plantagenet).

Plusieurs romancières phares éclairent aussi cette rentrée, notamment chez Gallmeister où Ayana Mathis opère son grand retour avec Les égarés. Prix Femina 2022, Rachel Cusk signe Parade (traduit par Blandine Longre, Gallimard), qui aborde lui aussi la maternité.

Du Nord aux Sud

Si les traductions de l'anglais restent majoritaires, les fictions européennes ont la cote. Plusieurs maisons soutiennent des plumes finlandaises, comme Iida Turpeinen avec À la recherche du vivant (traduit par Sébastien Cagnoli, Autrement), ou Pirkko Saisio, qui se raconte dans À contre-jour (traduit par Sébastien Cagnoli, Robert Laffont), à la manière d'une Deborah Levy finlandaise.

La littérature italienne se révèle aussi très attractive, comme en témoignent Les merveilles de Viola Ardone (traduit par Laura Brignon), star d'Albin Michel en cette rentrée, ou encore La vie qui reste, premier roman de Roberta Recchia, à paraître chez Istya & Cie dans une version d'Elsa Damien, traductrice d'Elena Ferrante. D'autres voix italiennes se font entendre, dont celles de Maria Grazia Calandrone, finaliste du prix Strega en 2023 pour Ma mère est un fait divers (traduit par Nathalie Bauer, Globe), de Marco Lodoli avec Si peu (traduit par Louise Boudonnat, P.O.L), et de Cristina Comencini pour Hors-champ (traduit par Béatrice Robert--Boissier, Stock). J'voulais naître gamin, de Francesca Maria (Liana Levi), est traduit du napolitain par Audrey Richaud.

Car cette rentrée fait la part belle aux langues romanes, comme le catalan. Ainsi, Verdier publie Mammouth d'Eva Baltasar (traduit par Annie Bats), quand le Seuil publie Je t'ai donné des yeux et tu as regardé les ténèbres d'Irene Solà (traduit par Edmond Raillard), qui nous conduisent dans les Pyrénées. Autre exemple aux Argonautes, où paraît Junil de Joan-Lluís Lluís (traduit par Juliette Lemerle), une épopée dans l'Empire romain d'Auguste. Composé en galicien par Teresa Moure, avant qu'elle ne le réécrive en castillan, La morelle noire (traduit par Marielle Leroy, La Contre-Allée) met en scène des femmes qui s'affranchissent du modèle patriarcal.

Western et dystopies féministes

De personnages féminins forts, cette rentrée en regorge. Ainsi Mariana Enríquez est de retour aux Éditions du sous-sol avec La petite sœur. Un portrait de Silvina Ocampo, figure majeure de la littérature argentine. Dans Blackouts de Justin Torres (L'Olivier), le narrateur fait des recherches sur Jan Gay, une anthropologue lesbienne dont le travail a été bafoué. Femme oubliée de George Orwell, Eileen O'Shaughnessy est quant à elle au cœur de L'invisible madame Orwell d'Anna Funder (traduit par Carine Chichereau, Héloïse d'Ormesson). Dans le même temps, Sandra Newman propose avec Julia (traduit par Hélène Cohen, Robert Laffont) une relecture de 1984, imaginant la vie des femmes dans cet univers mythique.

Le patriarcat en prend ainsi pour son grade dans nombre de romans, comme Saison toxique pour les fœtus de Vera Bogdanova (traduit par Laurence Foulon, Actes Sud), ou Je ne veux pas d'Eva Aagaard (traduit par Marina Heide, Denoël).

Aux frontières du réel, Hexes d'Agnieszka Szpila (traduit par Cécile Bocianowski, Noir sur blanc) suit une femme filmée faisant l'amour à un arbre puis « téléportée » au XVIIe siècle avec un groupe de femmes qui vénère la terre. Un programme non moins électrique attend les lecteurs de 11 % de Maren Uthaug (traduit par Marina Heide, Gallmeister), qui imagine un monde où il ne reste que 11 % de la population masculine. Réinterprétation féministe du western, L'affranchie de Claudia Cravens (Les Escales, traduit par Carine Chichereau) pousse les portes d'un bordel tenu par des femmes.

Nouveaux mondes

Dans une mise en abyme des marges, la communauté queer est au cœur de plusieurs fictions, ouvrant des fenêtres sur des réalités méconnues. Finaliste du Man Booker Prize, Sang Young Park aborde dans S'aimer dans la grande ville (La Croisée, traduit par Kyungran Choi et Pierre Bisiou) des sujets rares dans la littérature coréenne, comme l'homosexualité et le sida. Les larmes rouges sur la façade de Navid Sinaki (traduit par Sarah Gurcel, Le Bruit du monde) livre l'histoire d'amour de deux hommes dans le Téhéran contemporain. Chez Denoël, American boys de Khashayar J. Khabushani (traduit par Charles Bonnot) brosse le portrait d'un jeune gay dans une famille d'immigrés iraniens en Californie.

À travers le regard de protagonistes issus des minorités, de nouvelles géographies se dessinent. Une mythologie originale de New York émerge dans Les fantômes de Brooklyn (Calmann-Lévy), premier roman de l'auteur afro--américain Tyriek White, quand Safiya Sinclair, issue d'une famille rastafari, fait le récit de son destin et de son pays, la Jamaïque, avec Dire Babylone (traduit par Johan-Frédérik Hel Guedj, Buchet-Chastel). Autre monde peu traité, celui du peuple des Aïnous, qui est au cœur de Source de chaleur de Sōichi Kawagoe (traduit par Patrick Honnoré, Belfond).

L'étrange surgit également, par exemple chez Julliard, qui publie L'envol des lucioles d'Abubakar Adam Ibrahim (traduit par Marc Amfreville), un portrait du Nigeria empreint de réalisme magique. Du côté de Zulma, La bedondaine des tanukis d'Hisashi Inoue (traduit par Jacques Lalloz) met en scène des ratons laveurs qui se métamorphosent en divers objets, voire en humains... S. L.

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