Depuis quelques mois, la romance frissonne. Un frisson d'horreur qui parcourt déjà les marchés anglo-saxons et qui commence à se répandre en France, où plusieurs maisons spécialisées dans les romans sentimentaux ouvrent leur catalogue à des récits horrifiques. Axées sur « la littérature du féminin », les éditions Charleston (groupe Leduc) publient ainsi ce 13 juin Il était un loup, de A.K. Benedict, premier titre d'une série de romans pensés pour trembler.
Sensations fortes
« On sait que l'horreur est un genre qui se porte très bien dans une période de crise globale, c'est une littérature refuge, souligne Danaé Tourrand-Viciana, directrice éditoriale aux éditions Leduc pour les maisons Charleston, Alisio et Nami. Ce socle de rebond se double d'une métamorphose dans la proposition littéraire avec beaucoup de voix féminines et issues des minorités qui se sont emparées de l'horreur. » Le roman d'A.K. Benedict, une autrice britannique déjà publiée par la maison avec ses enquêtes de Noël à la sauce sanglante, fait partie des très nombreuses soumissions de livres d'horreur reçues par Charleston ces derniers temps.
Lire aussi : En librairie, l'horreur a du style
« À Bologne, il y avait de l'horreur partout », confirme Krysia Boillon-Roginski, aux commandes de « Stardust », le label fantasy young adult des éditions Hugo Publishing. « C'est un genre très intéressant, de l'ordre de la transgression », estime l'éditrice qui espère publier de premiers titres dans cette veine dès 2026, tout en soulignant que le registre se glisse déjà dans certains romans du catalogue. L'héroïne d'Underworld Gods, de Karina Halle (2025), se rend par exemple dans le Royaume des Morts où l'attendent toutes sortes d'aventures et créatures terrifiantes. « Le lien entre romantasy et horreur est presque évident avec, dans les deux cas, la recherche de sensations fortes et des univers qui peuvent être très sombres », relève l'éditrice.
D'ailleurs, pour sa consœur Danaé Tourrand-Viciana, « beaucoup de jeunes femmes ont déjà opéré un passage de la romance à la romantasy, avec des héroïnes puissantes qui vont se battre, puis à l'horreur ».
Naissance de l'horromance
L'horreur pourrait donc être une nouvelle étape sur le chemin littéraire des lectrices et lecteurs de romance. Mais quelle horreur ? Comme la romance, le genre se décline en nuances variées et subtiles.
« Je commence à recevoir de l'horromance qui est un mariage entre la romance et l'horreur avec à la fois des scènes qui font peur et des scènes de sexe assez intenses qui viennent donner une respiration par rapport à l'angoisse », indique Julie Cartier, directrice des éditions Fleuve et de la collection « Chatterley » (Editis). Au sein de la première maison, elle lance en octobre 2025 une ligne d'horreur baptisée « Styx ». Pour la seconde, elle recherche moins de l'horreur « pure » que « de la romance avec une partie horrifique ». « Les textes que je lis ne sont même pas encore parus chez les Anglo-saxons », souligne l'éditrice qui est encore en négociation pour leur acquisition.
Chez « Stardust », Krysia Boillon-Roginski s'intéresse tout particulièrement à la mouvance gothique « pour son côté romantique et envoûtant » ainsi qu'aux intrigues « à la Scream mais très adaptées aux lectrices à partir de 16 ans, avec des problématiques de prise de pouvoir, de revanche sur les hommes ». « Folklore, gothique, femgore… On essaye d'avoir une proposition éditoriale qui va toucher tous ces sous-genres », assure de son côté Danaé Tourrand-Viciana. En octobre, Charleston publiera ainsi C'était notre maison, de l'auteur canadien Markus Kliewer, qui joue sur la montée de l'angoisse, tout en abordant les questions queer.
Une tendance d'éditeurs ?
De quoi varier les plaisirs pour le public des romances. « Pour les lectrices qui auraient lu beaucoup de romances, l'horreur est aussi une façon de retrouver des émotions très fortes, mais ailleurs », considère Julie Cartier, sans faire de généralités. « Chez Chatterley on a tout un lectorat qui à l'inverse aime les histoires très positives, inclusives, romantiques, dans un environnement où la personne se construit et développe son potentiel », observe-t-elle. Pour l'heure, « c'est encore une tendance d'éditeurs », poursuit-elle.
Une tendance qui reste donc à confirmer en librairie. « Tous les cinq à six ans, il y a un engouement pour l'horreur et ça retombe sans qu'un auteur ou une autrice ait cartonné en France », analyse Pascal Godbillon, directeur éditorial de la collection « Olympe » (Gallimard), citant des auteurs du genre comme Clive Barker ou Stephen Graham Jones qui ne rencontrent pas dans l'Hexagone le même succès qu'à l'international.
Violence physique et verbale, cannibalisme et torture
À Strasbourg, Marie Wietzorrek, gérante de L'Escapade, une librairie spécialisée en romance, a bien remarqué un sursaut d'intérêt pour l'horreur. D'ailleurs, le rayon consacré aux « Contes interdits », la collection horrifique des éditions Contre-dires, cartonne. Elle n'hésite pas non plus à proposer en rayon de la dark romance horrifique auto-éditée, à l'instar de Bloody Truth de Sweet Pearl Girl, une autrice alsacienne qui revisite le mythe de la Dame blanche avec des scènes sexuelles explicites, de la violence physique et verbale, du cannibalisme, ou encore de la torture. « Moi-même, en tant que lectrice, j'aime lire des romances toutes mignonnes mais aussi de bons livres d'horreur, des thrillers hyper gores », rapporte la libraire, curieuse de voir l'offre se développer sur ce segment.
Pour naviguer sur les eaux imprévisibles de l'horreur, Charleston mise sur des lectures « qui ne font pas forcément sursauter, mais avec une veine trash dont on ressort avec beaucoup d'énergie », commente Danaé Tourrand-Viciana. Par ailleurs, « il y a dans l'horreur une dimension psychologique très forte, ce qui permet à des gens qui viennent de la littérature générale ou de genre d'être passionnés par ces histoires », estime-t-elle. Ainsi donc, si les lectrices et lecteurs de romance ne venaient pas à l'horreur, d'autres pourraient s'y retrouver. Rendez-vous dans quelques mois pour voir qui aura répondu à l'appel…