3 OCTOBRE - ROMAN France

Alexandre Vialatte- Photo DR/LE DILETTANTE

Le poète Jacques Réda, dans sa notice sur Alexandre Vialatte (1901-1971) pour Le nouveau dictionnaire des auteurs Laffont-Bompiani, écrit de son oeuvre qu'elle est "des plus singulières de son époque". Parfaite appréciation, laquelle se renforce à chaque publication posthume. Mais pas mal de livres de Vialatte sont posthumes, dont La maison du joueur de flûte (paru en 1987). Le cri du canard bleu constitue une nouvelle pièce de ce puzzle déroutant. Un roman labyrinthique, datable, d'après la correspondance entre Vialatte et Pourrat, de 1933, dont on ne saura jamais si sa structure et sa complexité sont dues à son inachèvement ou à la volonté de l'écrivain. Le tout masqué derrière un style tout en élégance et en arabesques, un feu d'artifice de formules. Comme celle-ci, qui sert d'incipit : "La Beauté ne s'explique pas." Essayons quand même.

Celui à qui, tout minot, "elle s'impose", c'est le héros, Etienne Berger - dont Vialatte réutilisera plus tard le patronyme dans Le fidèle Berger, son roman "de guerre" autobiographique, paru en 1942. Etienne est un jeune Auvergnat, fils d'aubergiste de village et gardien de chèvres. Il va aussi à l'école, poursuivra au collège et au lycée. C'est là que l'écrivain, qui s'englobe à la page 35 dans un "nous » avant de basculer dans les souvenirs personnels à partir de la page 53, l'a connu. Etienne est un rêveur lunaire, colosse blond bouclé tout de noir vêtu, portant toujours béret et parapluie. Un garçon "rustique et pastel". Parce que, tout gosse donc, il est tombé amoureux d'Estelle, star des "Ballets féeriques", un numéro de cirque représenté sur une affiche en couleurs placardée sur un mur de son village, où elle s'est délitée peu à peu. Il y a eu aussi, dans ses premiers émois, Mlle Lantelme, la jeune institutrice fantasque qui disparaîtra pour se faire ermite dans la montagne, puis se fera ravir par un "sauvage aux yeux bleus", mi-homme, mi-centaure. Auparavant, elle aura offert à chacun de ses élèves l'un des canards-leurres qui trônaient sur une étagère de sa classe. Etienne a hérité d'un canard vert, mais dit "bleu de Colombie". Il le conservera comme une relique, un talisman, un totem.

Vialatte, qui tirait le diable par la queue, a pu, grâce à son ami Paulhan, partir en Allemagne de 1922 à 1928, comme traducteur (notamment de Kafka, le premier en français), interprète, journaliste. A un moment, il rencontre un garçon de bureau-violoniste prénommé Siegfried, lequel lui rappelle Etienne, qu'il n'a jamais revu pour d'obscures raisons. Obscur aussi, et affreusement prémonitoire, ce passage où il se rappelle "trois petits juifs dans une pauvre salle d'attente de Bavière. Ils croyaient que leurs billets étaient pour Jérusalem ; c'était leur mère qui avait dû le leur dire ; ils sont descendus un peu plus loin, dans un pauvre village de neige recouvert de fumées jaunâtres". Le cri du canard bleu a été écrit, et abandonné, rappelons-le, en 1933, l'année même où Hitler devenait chancelier...

En pleine rentrée littéraire tapageuse, ce nouveau Vialatte vient à point nommé comme un antidote, une oasis, une gourmandise.

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