Elle est seule. Des raisons de cette solitude, on ne saura rien. Tout juste devinera-t-on qu’elle est un choix, un pari, un risque, un jeu. Dans le refuge ultra technologique qu’elle s’est fait installer à flanc de montagne, une femme apprend, réapprend peut-être, à vivre. Elle marche (sur un fil, littéralement, parfois), s’astreint à se donner les moyens de sa survie, elle s’épuise et rédige un journal de bord qui est peut-être aussi un manuel de savoir-vivre. Son esprit sans cesse bat la montagne. Elle se confronte bravement, obstinément, aux éléments, à leur altière beauté, à leur violence parfois. Elle s’attend à tout et tout advient, même l’impensable, la rencontre d’une ermite comme née du songe halluciné de sa solitude, la possibilité d’un dialogue.
Céline Minard aussi est seule, seule dans son genre. Ou plutôt dans ses genres, puisque l’on sait depuis Olimpia (Denoël, 2010), Le dernier monde (Denoël, 2007) ou Faillir être flingué (Rivages, 2013, prix du Livre Inter) que le récit de genre ne relève pas chez elle des figures imposées, mais est constitutif de son projet littéraire, de son rapport au monde et au livre. Toutefois, il serait fautif d’en déduire qu’elle se réinvente totalement à chaque roman, tant les uns et les autres tissent des correspondances secrètes comme autant de motifs cachés dans le tapis. En ce sens, ce Grand jeu montagnard et mystérieux peut aussi (doit ?) être lu comme, si ce n’est une réponse, un récit en miroir de Faillir être flingué. Il n’est là encore question que de solitude, de déserts, d’errances et de lignes d’horizon. Simplement, d’un livre à l’autre, le rapport au réel, c’est-à-dire d’abord le rapport à autrui, semble s’être encore opacifié en même temps que, gagnant presque en puissance métaphysique, le récit se tourne plus vers la fable, le conte. Il ne reste rien dans ce livre de ce qui peut faire écran (en gros, le désir de communauté) à la force de la rencontre, au face-à-face immémorial entre l’homme (la femme) et la nature. L’art de Céline Minard étant de savoir maintenir son récit à cette hauteur-là, à cette ascèse, au dépouillement qu’il exige. Elle est dans le paysage littéraire d’aujourd’hui "la femme des hautes solitudes" (comme James Salter écrivit un jour L’homme des hautes solitudes). C’est assez magistral en même temps que profondément moral puisque sollicitant de son lecteur de se montrer lui aussi à la hauteur, ne l’abaissant jamais. Comme son héroïne dont le refuge se dresse au-dessus du vide, elle prend un risque, un risque magnifique. Un risque nécessaire. Olivier Mony