2 FÉVRIER - HISTOIRE France

Ah, l'homme providentiel... On l'attend toujours et il vient quand on ne l'attend plus. Qui misait sur de Gaulle en juin 1940 ? Pour beaucoup, la providence c'était Pétain. Et que dire de Lloyd George, le Premier Ministre britannique, quand il apprend l'échec de Clemenceau à l'élection présidentielle de 1920 : "Cette fois, ce sont les Français qui ont brûlé Jeanne d'Arc !"

Jean Garrigues- Photo HERMANCE TRIAY/SEUIL

Le livre de Jean Garrigues est captivant car il aborde un thème qui va bien au-delà de l'histoire française, même si son travail est circonscrit à notre pays. Car nous nous sommes faits en France une spécialité de l'homme providentiel, comme du bon repas. La différence est que l'Unesco ne l'a pas classé au patrimoine immatériel de l'humanité.

Il suffit de lire chaque semaine les sondages pour bien comprendre que derrière les intentions de vote pour untel ou unetelle, c'est encore de cela qu'il s'agit, surtout en période de crise. Et cet homme providentiel, Jean Garrigues le montre fort bien, est souvent seul, contre tous et surtout contre les élites qui, elles, ont démérité.

"Le discours de l'homme providentiel tend à faire croire que son avènement relève d'une sorte d'évidence historique, voire d'une immanence, qui fait se rencontrer naturellement la légende d'un homme et les espérances de son peuple." Un seul être exceptionnel nous manque et le pays est déboussolé !

De Bonaparte à de Gaulle, ce professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans examine avec vivacité cette figure qui prend bien des aspects. Du providentiel fugace (le général Boulanger) au providentiel oublié (Lamartine) en passant par le providentiel idéalisé (Mendès-France) ou les providentiels par la suite détestés (Napoléon III et Pétain), la typologie est riche.

Il y a aussi les providentiels "normaux". Entre le papetier de Saint-Céré (Pierre Poujade) ou le sage de Saint-Chamond (Antoine Pinay), c'est béret flasque et chapeau mou. Et pourtant, cela a marché, un temps. Il faut dire que l'homme providentiel ne vient pas de nulle part. Jean Garrigues rappelle combien les journaux du groupe Boussac ont participé à la fabrication du "mythe Pinay".

Quelquefois, l'homme providentiel se fait lui-même. Du Mémorial de Sainte-Hélène aux Mémoires de guerre, il y a comme un héritage. Napoléon comme de Gaulle ont été les historiens de leur propre légende. Et Jean Garrigues montre combien la pose est importante quand on veut être statufié. "La République a besoin de héros pour se reconnaître et s'identifier, comme elle a besoin d'hommes providentiels pour trancher le noeud gordien de ses crises."

On demande toujours trop à la providence. A vouloir trop "voir en avant" - providere -, on délaisse quelquefois le présent. Cela dit, l'astucieux Garrigues nous montre in fine qu'il y a toujours une dimension mystérieuse - sacrée, aurait dit Kantorowicz - dans l'exercice du pouvoir. Au fond, ce thème de l'homme providentiel est assez positif. Il représente l'espoir que l'on met encore dans la politique.

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