En assurant depuis deux ans et demi la publication systématique en France des œuvres de Marcello Quintanilha, Çà et là révèle peu à peu un très grand auteur de romans graphiques. Né en 1971, le dessinateur brésilien autodidacte a travaillé dans la BD d’horreur et le dessin animé. Il a été illustrateur de presse. Mais c’est en 2009, avec son recueil de nouvelles Mes chers samedis (Çà et là, 2015), qu’il émerge dans toute sa singularité, comme un fin analyste des névroses de la société brésilienne qu’il décrypte, ainsi qu’on a pu le voir avec Tungstène (Çà et là, 2015 ; voir notre avant-critique dans LH 1045, du 5.6.2015, p. 51) ou Talc de verre (Çà et là, 2016), dans des ouvrages tirés au cordeau, en en faisant ressortir le caractère universel.
L’Athénée révèle une nouvelle facette de son très grand talent. Cette fois, Marcello Quintanilha adapte l’œuvre la plus connue et en grande partie autobiographique de son compatriote Raul Pompéia (1863-1895), publiée en 1888 au Brésil, et tardivement en France où elle est désormais épuisée, successivement chez Pandora (1980) et chez Ombres (1989). Dans le sillage de l’écrivain républicain et antiesclavagiste, suicidé à 32 ans, il retrace à la première personne la scolarité à la dure du jeune Sergio, envoyé à 11 ans dans un prestigieux pensionnat de Rio de Janeiro, où le moins qu’on puisse dire est que l’aristocratie et la grande bourgeoisie brésiliennes n’apparaissent pas sous leur meilleur jour.
A L’Athénée, dont le directeur mégalomane, Aristarco Argolo, place très haut la mission en même temps que ses propres qualités de pédagogue, le processus d’intégration tient moins d’un établissement scolaire que d’un établissement pénitentiaire. Sergio a peu de chances de se faire de réels amis, seulement la possibilité de se faire des ennemis ou de se choisir, à ses risques et périls, un protecteur. Le voilà oscillant sur ce chemin plein d’embûches, et livrant au passage une galerie de portraits effrayants de ses congénères tour à tour, voire simultanément, victimes et pervers, liés par des relations et des rapports de force ambigus et changeants que Marcello Quintanilha cerne avec une fascinante précision.
Pour ce livre, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, le dessinateur a aussi procédé à une remise en cause radicale de son graphisme. Là où il privilégiait le trait, en noir et blanc ou en bichro, il mise, en couleurs, sur une approche beaucoup plus picturale, presque photographique, dessinant des ambiances sombres et oppressantes. Une nouvelle réussite. Fabrice Piault