Relisons le Neveu de Rameau. « On crache sur un petit filou, mais on ne peut refuser une sorte de considération à un grand criminel. » Cette fascination, Christian Chavagneux l'a canalisée sur les grands escrocs, les as de l'arnaque, les cadors de la carambouille. De Jeanne de la Motte qui réussit à duper le cardinal de Rohan dans l'affaire du collier de la reine destiné à Marie-Antoinette à Bernard Madoff qui a détourné plus de 60 milliards de dollars le périple à de quoi surprendre autant qu'inquiéter. Car le rédacteur en chef de la revue L'économie politique est aussi un fin connaisseur des mécanismes frauduleux. Il les dévoile ici avec clarté alors que ces montages sont souvent complexes. Il le fait de plus avec une verve réjouissante qui nous plonge tel un feuilleton dans trois siècles d'entourloupes.

Quelques constantes apparaissent pourtant au long de ces ténébreuses affaires. Le charme d'abord. Il en faut pour venir à bout d'esprits avertis et les faire céder. Jeanne de La Motte ou Thérèse Humbert en ont usé et abusé. L'audace ensuite, évidemment. Une sacrée prise de risque est nécessaire pour échafauder de tels montages et vendre par exemple 700 000 hectares d'une île qui n'en compte de 1 300 ! L'absence de scrupule est aussi un élément important. L'escroc n'éprouve aucune empathie pour les faisans qu'il plume. Seul compte le profit qu'il en tire. Mais il y a aussi la fin, autrement dit la chute. Car toutes ces histoires se terminent mal en général pour leurs instigateurs sans foi ni loi. Elle est souvent spectaculaire et s'effondre comme une pyramide de Ponzi, le dénommé Charles Ponzi figurant bien sûr dans cette galerie peu recommandable.

Ces arnaques s'inscrivent dans les mentalités, emploient les techniques financières et se servent des innovations scientifiques de l'époque. La rouerie de Jeanne de La Motte passe par sa façon d'intriguer auprès de la Cour. Madoff utilise la vitesse des réseaux informatiques pour remplir ses caisses et vider celles de ses clients. Le hasard n'a rien à voir dans ces manœuvres. Il n'est que le nom de notre méconnaissance des faits, du système et de ceux qui les ont utilisés à des fins frauduleuses. Il nous montre aussi pourquoi nous avons comme Diderot parfois de l'indulgence pour ces aigrefins qui ont connu une fêlure dans leur vie et n'ont jamais utilisé la force pour duper leur monde. Christian Chavagneux révèle ces combines avec une belle énergie qui en dit long autant sur l'économie que sur la nature humaine. Un vrai Dumas chez les filous.