La liste des personnages féminins donnée en ouverture - 86 au total - fait penser aux génériques fleuves des films de Guitry, auteur par ailleurs très occupé pendant l’Occupation. Car c’est bien une fresque historique que propose Anne Sebba. A la manière de "si les Parisiennes nous étaient contées", elle déroule la séquences 1939-1949 dans une succession de scènes qui n’ont pour logique que le temps de la guerre. Destinée à l’origine à un public anglo-saxon, cette chronique a le mérite d’être d’une clarté exemplaire, d’éviter les partis pris ou les démonstrations. En résumé, rien n’y est éludé. Essayer de comprendre plutôt que juger, assure l’historienne britannique. Quoique…
Cette décennie fut terrible en drames, en misères et en lâchetés. On ne saurait tous les nommer, mais la biographe de la duchesse de Windsor (Wallis : la scandaleuse, Tallandier, 2017) a choisi le livre choral pour nous montrer la diversité des attitudes. Pour cela, cette spécialiste des grandes icônes féminines s’est solidement documentée. Elle a aussi rencontré, ce qui est très précieux, des témoins comme Geneviève de Gaulle-Anthonioz ou Cécile Rol-Tanguy.
Dans ce récit fort bien mené, les femmes apparaissent, disparaissent puis reviennent dans la Ville lumière. Pas toutes. Certaines sont assassinées dans les camps nazis parce que juives. D’autres retrouvent Paris dans des conditions physiques épouvantables, amaigries, malades, fantômes pudiques d’une réalité insupportable qui fait détourner le regard. Parce que c’est impossible, parce qu’on n’a pas pu ne pas voir. Sur ce sujet, les phrases de Marguerite Duras sont d’une intrépide justesse.
Pourtant, quelques-unes ont gardé les yeux bien écarquillés au spectacle des rafles, des tortures et des exécutions. Certaines ont continué de bambocher pendant que d’autres crevaient de faim ou crevaient tout court, comme Fabienne Jamet, la propriétaire du bordel le One Two Two. "Je ne m’étais jamais autant amusée de ma vie." Pourtant, cette si douce Occupation ne le fut pas pour grand monde, et ce qui domine c’est la peur.
Année par année, on plonge dans ces jours sombres jusqu’à l’épuration, le carnaval moche des tondues et les règlements de comptes. Puis, avec les Américains, Paris redevient capitale de la mode. Cette distinction, les Parisiennes ne l’ont jamais abandonnée, même durant les pires moments. C’est le détail vestimentaire, le petit geste pour tenir, pour rester droit devant l’occupant. Car l’essentiel de cette élégance n’est pas chez celles qui fréquentaient les couturiers et les soirées mondaines. Elle est intérieure, dans le refus de céder. Elle est dans la survie. On comprend le propos de Cécile Rol-Tanguy qui fut de tous les combats jusqu’à la libération de la capitale. "N’écrivez pas qu’on nous a "donné" le droit de vote après la guerre. Nous nous sommes battues pour l’obtenir."
On sait gré à Anne Sebba d’avoir si bien raconté ces dames, d’avoir regardé avec admiration celles qui ont préservé l’honneur d’une cité et d’un pays en demeurant ce qu’elles étaient. C’est ça, le vrai chic parisien. Laurent Lemire