Avec ce Dîner à Montréal, Philippe Besson achève un triptyque romanesque autobiographique et sentimental, inauguré en 2017 avec Arrête tes mensonges. Mais, outre que, dans toute son œuvre (depuis 2001 et En l'absence des hommes), ainsi qu'il le confie aujourd'hui, les frontières entre la réalité et la fiction ont toujours été très poreuses, Dîner à Montréal constitue en fait la suite d'Un certain Paul Darrigrand, paru en janvier 2019. Comme si l'écrivain, s'étant ressouvenu de l'épilogue de cette relation amoureuse qui l'a marqué à vie, avait souhaité y mettre un terme ultime, dans une certaine urgence. Philippe Besson écrit avec une célérité certaine, un roman par an publié en général en janvier, ce qu'on lui reproche parfois. Alors que personne ne songe à chercher noise à Amélie Nothomb, autre stakhanoviste du stylo.
A la fin d'Un certain Paul Darrigrand, dont l'intrigue se situait en 1989, lorsque les deux amis avaient une vingtaine d'années, Philippe Besson indiquait avoir revu une seule fois Paul, par hasard, à Montréal, en 2007, dans la librairie où il était venu dédicacer son roman de l'époque, Se résoudre aux adieux. Titre prémonitoire. Il n'avait guère fourni plus de précisions. Paul était venu le voir, avait acheté le livre, se l'était fait signer. Ils avaient échangé quelques mots. Point.
Pas du tout, en fait. Philippe avait proposé à Paul un dîner à Montréal, accompagné s'il le souhaitait, ignorant si, dix-huit ans après, il était toujours marié à Isabelle. Ce qui est le cas. De son côté, l'écrivain vivait depuis quelques mois avec le jeune Antoine, qu'il avait invité à l'accompagner. Paul ayant accepté, avec l'accord d'Isabelle, le duo espéré se transforme en quatuor, dans un restaurant gay branché du Village. C'est Isabelle qui a choisi l'endroit, pour bien montrer qu'elle n'est pas dupe, et au courant de tout. Antoine, lui, vit ça un peu comme un spectacle, mais avec élégance et discrétion. Deux fois, il entraîne Isabelle dehors fumer des cigarettes, afin de laisser seuls Paul et Philippe, qui doivent avoir tant de choses à se raconter, voire à s'avouer.
Le corps du roman est constitué de ces moments, comme autant d'actes brefs, où les deux anciens amis se retrouvent. Au début, la conversation paraît guindée (Paul a toujours été un taiseux, parfois abrupt), puis se lâche, confinant parfois au règlement de comptes. On apprend que Paul s'en est voulu d'avoir rompu, qu'il a suivi la carrière de Philippe, lu tous ses livres, et prémédité cette rencontre de longue date, qu'il était amoureux de lui, même s'il ne le lui a jamais avoué (déclaration que l'autre espérait de toute son âme), qu'il l'a aimé longtemps après encore, et n'aurait connu aucun autre garçon depuis. Mais qu'il n'a jamais songé à quitter sa femme, ni leur fils Vincent, et qu'il a privilégié sa carrière. Tout est dit.
Isabelle revient régler l'addition, on se sépare et, cette fois, il n'y aura plus de revoir. A moins que Philippe Besson, maître des horloges, ne nous ait pas encoretoutraconté.
Dîner à Montréal
Julliard
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 19 euros ; 192 p.
ISBN: 9782260053170