Au-delà du style personnel, le moment présidentiel est celui de l'affirmation de valeurs et d'une vision de notre société. A l'image de sa campagne, notre nouveau président a dès son discours de Tulle, réaffirmé son attachement (et celui de ses électeurs), au rassemblement des citoyens par-delà leurs différences (partisanes ou autres). Il a également insisté sur l'importance de faire progresser la justice sociale et de donner toute sa place aux nouvelles générations. Cette vision politique n'est pas vouée à demeurer dans le monde des belles idées. Elle trouve et pourrait trouver une traduction dans les bibliothèques. Renouant avec certains de ses prédécesseurs et tranchant avec N. Sarkozy, F. Hollande a donc insisté sur la nécessité de rassembler tous les citoyens. Il ne s'agit plus de les opposer les uns contre les autres, de monter certaines catégories contre d'autres. Au-delà des différences entre individus et entre groupes, nous partageons une même appartenance à la fois à la nation, mais aussi à la « commune humanité », (pour reprendre la formule de F. de Singly). La bibliothèque est le lieu de ce rassemblement à l'échelon local. Elle s'adresse à la fois à chacun et à tous. Son existence même incarne cette affirmation de l’attachement de la collectivité locale au rassemblement de tous ceux qui la composent. Mais cette affirmation a priori ne suffit pas. Elle doit montrer son obsession de s’adresser à tous et de les rassembler. La culture devrait dans ce cadre, être présentée plus comme un moyen de fédérer les habitants que de les diviser. La bibliothèque peut aussi prendre sa place dans la construction de la collectivité à travers des moments festifs. Les bibliothèques prennent part à la redistribution sociale. Cela passe bien sûr par la mise à disposition des citoyens de documents (ou d’informations) acquis par la collectivité. La faiblesse des ressources économiques ne doit plus être un obstacle à l’accès au savoir comme au divertissement. Dans ce cadre, une traduction de l’ambition présidentielle serait la promotion de la gratuité de l’inscription en bibliothèque . La promotion de la lecture contribue à la redistribution sociale, parce que cette pratique est une condition de l’acquisition de savoirs et de l’autonomie individuelle. Les bibliothèques doivent en tirer les conclusions de façon plus concrète, en assumant leurs responsabilités dans l’activité de soutien à la réussite scolaire, c’est-à-dire sans laisser ce domaine à la sphère marchande, source d’inégalités. L’allongement de l’espérance de vie diminue l’importance relative des jeunes dans notre société. Cela paraît assez paradoxal car, dans le même temps, les mutations technologiques fournissent aux jeunes une place plus importante. Mettre l’accent sur la jeunesse consiste à faire de la régénérescence le moteur de la succession des générations. La transmission n’est pas la seule manière d’envisager les rapports entre les anciens et les jeunes. Les bibliothèques sont un cadre tout à fait pertinent pour aller dans cette direction. Elles peuvent (et doivent) être l’institution qui participe à la réécriture du monde et de la culture. Si l’école reçoit tous les élèves et doit conserver une part de transmission de références anciennes et transgénérationnelles, la bibliothèque doit pouvoir être plus réactive et faire émerger le patrimoine de demain. Concrètement, elle doit se donner les moyens d’accueillir les jeunes et leurs références spécifiques, sans attendre qu’elles soient instituées dans les pratiques ou par d’autres institutions. Jeux vidéo, mangas, Internet, forment des exemples de pratiques qui ont peiné à trouver leur place dans les bibliothèques . Pour paraphraser F. Hollande, les bibliothèques sont-elles « vraiment pour la jeunesse ? » . Ce premier discours de Tulle ouvre donc une perspective, une vision. Les bibliothèques y ont pleinement leur place et peuvent parfaitement la revendiquer. A l’heure où elle cherche un chemin pour leur redéfinition, pourquoi ne pas s’emparer de ces pistes ?