Avant-critique Roman

Julian Barnes, "Elizabeth Finch" (Mercure de France) : Les lois de la gravité

Julian Barnes - Photo © Marzena Pogorzaly

Julian Barnes, "Elizabeth Finch" (Mercure de France) : Les lois de la gravité

Seizième roman de Julian Barnes en forme de variation grave, énigmatique et mélancolique sur les traces d'une femme.

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Par Olivier Mony
Créé le 04.09.2022 à 10h00

C'est parfois difficile de survivre littérairement à sa gloire, à celle des commencements. Seule solution, l'oublier. Les romanciers anglais s'entendent à merveille à jouer à ce jeu. Les William Boyd, Ian McEwan ou Jonathan Coe y sont passés maîtres. Plus encore qu'eux peut-être, Julian Barnes. Loin de ne gérer que les bénéfices littéraires du Perroquet de Flaubert (Stock, 1986) ou de Love, etc. (Denoël, 1992), Barnes a donné à son œuvre depuis quelques années, et singulièrement depuis Une fille, qui danse (Mercure de France, 2013, qui lui a valu en son pays la consécration tardive d'un Man Booker Prize), une couleur poignante où se mêlent le plus harmonieusement possible gravité et mélancolie. En ce sens, ce Elizabeth Finch offre le même genre de splendide point de vue crépusculaire.

Neil, le narrateur, la trentaine, comédien raté, deux divorces derrière lui, fait la connaissance d'Elizabeth Finch, de vingt ans son aînée, lorsque celle-ci lui donne des cours pour adultes de culture et civilisation. Sa maïeutique austère et exigeante à la fois, loin de toute idée de séduction fût-elle seulement intellectuelle, loin aussi des usages volontiers libertaires des temps, l'impressionne d'emblée. Deux décennies passeront lors desquelles le maître et son élève ne rompront jamais leurs liens, les entretenant lors de déjeuners pour Neil aussi rares que précieux. Jusqu'à ce que la mort, celle d'Elizabeth, les sépare, laissant à Neil les papiers personnels de feu la professeure. Libre à lui d'en faire ce qu'il veut et d'abord de les comprendre comme il l'entend, notamment la passion qu'eut sans doute la disparue pour la figure de Julien l'Apostat, ultime grand césar de l'ère romaine, ayant, au IVe siècle, essayé en vain de combattre l'influence chrétienne et de rétablir le polythéisme. À travers le destin de Julien, ce sont les ombres de celui d'Elizabeth que va tenter de dissiper Neil, comme en un ultime et précieux serment de fidélité.

D'une certaine façon (qui par ailleurs, n'appartient qu'à lui), c'est à une sorte de thriller amoureux autant que philosophique que nous convie Julian Barnes. Les lois du roman sont ici celles de la gravité. La figure en creux de cette Elizabeth Finch, cette femme dont la rigueur morale est à la fois un refus et une beauté, est de celle que l'on n'oublie pas.

Julian Barnes
Elizabeth Finch Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin
Mercure de France
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 19 € ; 208 p.
ISBN: 9782715258839

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