En dénonçant les dessous de la mafia napolitaine et du trafic de cocaïne, c'est comme si Roberto Saviano lui avait tiré dessus à bout portant. Des mots, telle une gâchette, pour enrayer un phénomène qui gangrène l'ensemble d'une société. Une « trahison », dont le journaliste et l'écrivain paye le prix, d'autant qu'il est l'enfant du pays. Depuis la parution de Gomorra en 2006, il est menacé de mort et vit sous protection policière. Cela ne l'empêche pas de reprendre la plume, encore et toujours.
Saisir les graines de la haine, voilà la gageure de son nouveau roman qui nous plonge au cœur de la jeunesse délinquante. Nico est issu d'une famille modeste et travailleuse, mais il ne tient pas à lui ressembler. Ce sont plutôt les parrains de la mafia qui le font rêver. Ses parents sont désemparés face à ce fléau qui infiltre toutes les couches de la population. Pourquoi leur progéniture ne veut-elle pas suivre les pas de ces gens honnêtes, qui tentent de subsister ou d'offrir un avenir meilleur à leurs descendants ? Tout le monde vit dans la crainte de voir son enfant basculer.
« Il y a ceux qui baisent et ceux qui se font baiser. Le baisé ne saura pas trouver en lui les ressources nécessaires pour réaliser ses rêves. Il n'aura que les miettes. » Le héros refuse d'appartenir à cette catégorie, il sera leader ou rien. Avec sa bande de copains adolescents, il sème la terreur. « Le regard est un territoire, une patrie. Regarder quelqu'un, c'est comme entrer chez lui par effraction. » Gare à celui qui franchit les limites. Humilier ou faire souffrir les autres devient un plaisir. Tout est bon pour sauver sa peau, même trahir les siens. « La question du sang, de l'appartenance » devient centrale pour ces gamins en perte de repères. Mais la fascination de la violence masque une quête de virilité et d'identité.
« Il y a un temps pour voler et un temps pour être en cage. » Comment s'en évader ? L'école est remplacée par la rue, la tribu, mais cela ne suffit plus à Nico. Il veut asseoir son pouvoir, imposer son nom parmi les légendes de Naples. Aussi approche-t-il Don Vittorio, un criminel notoire qui ne pardonne rien. « Qui dit ce qui est propre ? Qui dit ce qui est sale ? Les exploits d'un guerrier passent de bouche en bouche, ils font l'actualité. » Inconscient, Nico rêve « d'une vraie guerre », histoire d'impressionner sa petite amie et de rompre un quotidien bien morne. Bientôt sa bande abandonne les petits larcins au profit de la drogue ou des armes à feu. « On doit avoir peur de rien. » Or ces « baby-gangs » ne sont pas rodés à l'exercice. Ils ne révèlent que « des tueurs de jeux
vidéo ». Ils croient à l'aventure, sans
savoir que le territoire ultra codifié de la Comorra a des règles inviolables.
On ne joue pas avec le feu... Y compris avec celui qui couve en soi. En optant pour la fiction, Roberto Saviano nous entraîne aisément dans le cercle vicieux mafieux, qui apparaît comme la seule promesse faite à toute une jeunesse. Son roman rythmé a des airs de mini Pulp fiction. Résolument moderne, il aborde avec justesse cette nouvelle génération modelée par les mondes virtuels et les réseaux sociaux. Comment s'y retrouver dans une réalité alimentée par une image de soi idéalisée ? Quel est le revers de ces pièges illusoires ?
Saviano nous tient en haleine jusqu'au réveil glaçant.
Piranhas - Traduit de l’italien par Vincent Raynaud
Gallimard
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 22 euros ; 368 p.
ISBN: 978-2-07-275404-3