Une rencontre amoureuse décisive, un abandon qui a marqué le reste de la vie : c'est une expérience bouleversante et douloureuse de passage accéléré à l'âge adulte dont se remémorent les deux narrateurs du deuxième roman d'Elena Costa.
Au début de l'hiver 1987, Yves, un provincial de 18 ans débarqué à Paris en première année de droit, entame une liaison avec une femme plus âgée, Evelyne, professeure de piano et mère d'un fils d'une douzaine d'années. A peine cinq mois après le début de leur histoire, Evelyne disparaît sans explications, laissant son jeune amant et son enfant dont le père notaire qui en avait la garde vient de mourir, livrés à eux-mêmes dans l'appartement de fonction du collège de la lointaine banlieue sud où elle enseignait. Une trentaine d'années plus tard, les voix des deux abandonnés se font écho, esquissant le portrait de la fugueuse, sans parvenir à cerner cette femme, ses manières bourgeoises et sa désinvolture, ses secrets et ses regrets, cette mère empêchée qui constatait avec amertume qu'on lui avait « volé sa jeunesse ».
Chacun raconte l'attente sans véritable espoir, ponctuée de deux pauvres cartes postales, qui s'est installée dans les mois qui ont suivi la désertion : l'étudiant change de vie, se fait embaucher dans un restaurant universitaire, à la plonge d'abord puis dans les cuisines où travaille Laurent, un garçon lié au passé d'Evelyne qui vit dans une caravane. Seule la musique classique - Ravel et l'opéra pour Yves et Laurent, les disques laissés par la mère méthodiquement écoutés par le fils - semble pouvoir prolonger l'amour enfui. « Malgré son absence, son destin m'a toujours paru s'imbriquer secrètement au mien, comme deux êtres, unis par le malheur, peuvent entretenir quels que soient la distance, le temps qui passe, une relation bien plus intime et exclusive que s'ils avaient continué à se fréquenter », constate Yves en se souvenant du garçon « policé, inexistant » « à la recherche de lui-même » qu'il était à son arrivée à Paris, celui qui rêvait d'une « vie audacieuse », « une vie dont vous ignorez ce qu'elle sera le lendemain ».
Après Daniel Avner a disparu (Gallimard, 2015), Elena Costa pénètre avec pudeur la mélancolie existentielle de ces « fils de bonne famille », navigant entre deux mondes, pris dans l'étreinte sourde de la solitude et le vide interminable de l'absence.
La vie audacieuse
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 euros ; 256 p.
ISBN: 9782072850257