Manifestation

Jeunesse : Bologna digit@le

Foire de Bologne, exposition consacrée à l'illustration portugaise. - Photo BOLOGNA FIERE

Jeunesse : Bologna digit@le

Organisés à Bologne le 18 mars pour la deuxième année en avant-première de la Foire internationale du livre de jeunesse, les Tools of Change (Toc) ont permis de mesurer l'explosion du numérique pour la jeunesse et sa créativité, mais aussi les interrogations qu'il suscite dans le secteur.

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Par Claude Combet
Créé le 31.12.2014 à 13h36 ,
Mis à jour le 16.02.2015 à 12h17

Dimanche 18 mars, les professionnels du livre pour la jeunesse se sont retrouvés aux Toc (Tools of Change). Sur le modèle de celles organisées depuis plusieurs années à New York et à Francfort, ces conférences initiées par le groupe américain O'Reilly avec BolognaFiere se tenaient pour la deuxième année en avant-première de la Foire internationale du livre de jeunesse de Bologne, dont la 49e édition se déroulait du 19 au 22 mars. L'an dernier, ces Toc jeunesse avaient entériné l'arrivée du numérique dans la littérature enfantine, notamment grâce à l'iPad. Cette fois, ils ont montré que les éditeurs avançaient dans leur réflexion, notamment sur la commercialisation. Conscients de la force de leurs contenus, mais soucieux d'en maîtriser l'usage, les 400 professionnels inscrits, contre 250 l'an dernier, avaient le choix entre pas moins de 26 tables rondes.

Dans la salle des conférences Tools of Change.- Photo BOLOGNA FIERE

Toujours volontariste, avec des chiffres d'affaires qui se sont envolés, l'édition américaine s'est engouffrée avec enthousiasme dans le numérique pour la jeunesse comme dans le numérique en général. "Il s'est vendu en 2011 un milliard de smartphones et trois fois plus de tablettes que l'année précédente", >s'est exclamé Russell Hampton, patron de Disney Publishing Worldwide en ouverture de la journée. Il annonce plus de 30 applications à son catalogue et dévoile que la version numérique du dernier Rick Riordan, Le fils de Neptune, a représenté 38 % des ventes de la première semaine, et 20 % des ventes totales depuis sa parution.

"Aux Etats-Unis, les ventes numériques représentent entre 5 % et 7 % du marché du livre jeunesse", estime Dominique Raccah, fondatrice de Sourcebooks. Elle a analysé les ventes de l'ensemble des livres numériques en janvier 2012, en hausse de 59 % par rapport à janvier 2011 : la part du livre de jeunesse y progresse fortement, avec 4 % pour le segment jeunes adultes (contre 1 % un an plus tôt), et 2 % pour le segment des tout-petits (1 % en janvier 2011). A contrario, la part de la fiction adulte recule à 71 % en janvier 2012, contre 85 % en 2011.

Le 14 mars, notre confrère britannique The Bookseller a recensé sur le Kindle Store d'Amazon.com 52 405 livres numériques pour la jeunesse en anglais, 4 144 en allemand, 2 402 en français et 2 004 en espagnol. "En janvier 2010, nous avons publié notre premier livre numérique ; en 2011 nous en avions 80 ; en 2012, 600 et 3 applications, à côté de la centaine de nouveautés annuelles", indique Andrew Sharp chez Hachette Children's Book UK. Egmont annonçait à la Foire de Bologne le lancement, en partenariat avec le développeur Touch Press, de Cheval de guerre, une application d'après le roman de Michael Morpurgo, avec des images du film de Spielberg et des interviews de l'auteur et d'historiens.

Parmi les Français, Térence Mosca a détaillé la stratégie numérique de Gallimard Jeunesse en montrant notamment La forêt, issue de la collection "Mes premières découvertes", et Le Louvre, en coédition avec le musée, portrait d'Arcimboldo à l'appui. La jeune maison Walrus a présenté son projet autour du Kadath de Lovecraft, un format ePub avec du HTML5, du Javascript, etc., avec des cartes, du texte déroulant comme sur un parchemin, et des "suppléments" interactifs.

Le prix numérique pour un Français

Dans mon rêve, de >la toute petite maison e-Toiles, a été récompensée, devant 251 autres applications, par le premier BolognaRagazzi numérique. Cette oeuvre de Stéphane Kiehl a déjà été vendue à 11 600 exemplaires depuis décembre. Dans l'assistance, Marion Jablonski, d'Albin Michel Jeunesse, qui voulait voir les "applications réalisées par ses confrères", prévoyait d'adapter en format ePub l'application d'Atlantyca sur Le royaume de la fantasy (Geronimo Stilton). Pascal Ruffenach, directeur de Bayard Presse Jeunesse, fort de son site Bayam et du J'aime Lire Store, et Dimitri Galitzine, de Mediatools, développeur des applications Martine pour Casterman et des contes de Nathan, étaient aussi venu s'informer. Térence Mosca et Nicolas Roche, des éditions du Centre Pompidou, déclaraient travailler à une application "qui nous fait entrer dans le salon dessiné par Agam pour le président Pompidou".

Apps ou livre numérique, Apple ou Android, HTLM5 ou ePub 3 : l'époque est encore à l'expérimentation. Disney annonce même qu'il développe des effets "3D et pop-up". L'application, coûteuse à développer, est en tout cas moins en vogue désormais que l'ebook, au prix de vente potentiellement plus élevé, le tout au format ePub3, largement utilisé actuellement. "Les développements sont très rapides mais il est impossible de dire ce qui va se passer dans le futur même proche. Je viens du jouet et j'en ai retenu un principe essentiel : il faut faire quelque chose de simple pour avoir du succès", souligne Omer Ginor, de Touchoo. "On ne sait pas quel format va s'imposer mais il faut qu'ils soient compatibles. Quand on a un téléphone sous Android et un iPad, on souhaite pouvoir utiliser les mêmes contenus", renchérit Andrew Sharp, d'Hachette Children's UK. Térence Mosca, lui, a développé avec Unity un "middleware" issu du jeu vidéo qui permet de développer l'application et de la porter sur Apple, Android, sur le Net ou sur une console de jeu.

"Les défis de l'année sont les formats, le modèle de distribution, la lutte contre le piratage, le marketing et le prix", assurent unanimement tous les intervenants. Le monopole d'Apple, qui impose ses conditions, des délais de validation des applications et ne valorise pas l'album ludo-éducatif, fait peur. La réflexion se fait alors plus pointue. Il ne suffit pas de lancer des applications tous azimuts, il faut pouvoir les distinguer, les promouvoir. A part quelques éditeurs américains qui persistent à penser "mondial", les éditeurs préfèrent laisser agir leur partenaire sur son marché, conscients qu'on ne peut pas toujours apprécier un contexte qu'on ne connaît pas. De la même façon, ils préfèrent laisser le marketing entre les mains de l'éditeur local.

Aider les parents à faire leur choix

Mais une fois l'application validée, comment se retrouver dans un Apple Store qui compte 500 000 applications pour tous les publics ? Les éditeurs appellent de leurs voeux d'autres plateformes de téléchargement, voire des sites de libraires comme celui de Barnes & Noble, Nook Kids. Classer l'offre par âges, par genres, proposer une critique ou l'avis du libraire : il faut impérativement aider les parents à faire leur choix. "Quelle est l'histoire du livre ? C'est pour un garçon ? Quel est le thème ? Comme en librairie, le client fait un achat d'impulsion. Mais en librairie, il peut le prendre en main, le feuilleter, regarder la quatrième de couverture : il faut lui donner des extraits, et autant d'éléments pour choisir", souligne Kevin O'Connor, de Barnes & Noble.

De quoi remettre au goût du jour le travail du libraire et son rôle de prescripteur. "Les applications et les livres numériques sont disponibles dans le monde entier mais ne parviennent pas forcément aux clients", insiste Joe Schick, de Baker + Taylor Blio. "Il faut à la fois donner une visibilité aux éditeurs et ranger les livres d'une façon amusante de façon à ce que le client navigue sur le Net comme il se promène entre les tables d'une librairie", ajoute Wandy Yeap-Hoh de MeeGenius.

Les Toc se sont prolongés dans la foire, dans un Café numérique où se tenaient les stands de prestataires présents aux Toc ainsi que des démonstrations des différents produits. "Nous avons vraiment un public de professionnels qui a besoin d'informations. C'est un salon international, fréquenté majoritairement par des étrangers", commente Silvy Bikok, responsable marketing opérationnel de Jouve. On voit aussi émerger de nouveaux métiers de développeurs ou de services qui se proposent, comme Jouve, de transcrire en format numérique tout contenu papier. Ce qui n'empêche pas les éditeurs de revendiquer le papier, à l'image du britannique Noisy Crow qui, après ses applications en coédition avec Gallimard Jeunesse et avec l'allemand Carlsen, propose désormais son programme d'albums.

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