La révolte du crapaud. L'alyte accoucheur est une espèce de crapaud dont le mâle porte les œufs sur son dos après l'accouplement. L'Alyte du titre du nouvel album de Jérémie Moreau, après le magnifique Les pizzlys (Delcourt, 2022), est le nom de son héros batracien, dont on va suivre ici l'évolution, depuis l'état de fragile têtard jusqu'à celui de révolutionnaire de la nature, portant sur ses cuisses musclées l'avenir de la forêt.

Pourtant, le timide Alyte semblait n'être qu'une proie toute désignée pour les canards et autres rapaces. « Je ne sais pas d'où je viens, ni qui je suis. Je me suis fait emporter le premier jour. Et depuis, c'est une chute continuelle », se lamente-t-il auprès du chêne Axon. Ce vénérable végétal est le grand organisateur de la révolte contre la « léthalyte », l'urbanisation galopante et mortelle pour la nature sauvage, ici symbolisée par une route coupant la forêt en deux et décimant les animaux tentant de la traverser. Des mots inspirants de l'arbre, Alyte gardera l'élan vital, cette soif d'avancer qui pourra - littéralement - soulever des montagnes et repousser l'Homme et sa funeste expansion.

Au gré des rencontres de son crapaud, Jérémie Moreau tisse donc une fable animalière qui interroge forcément, et fortement, les aspirations et les contradictions humaines. Un album qui, s'il est peut-être moins surprenant que certains de ses précédents, s'inscrit dans une œuvre dont la cohérence impressionne. Comme dans la plupart de ses BD, de Max Winson à La saga de Grimr (Delcourt, 2014 et 2017), la question de la paternité - dans ses dimensions de guide et d'héritage, mais aussi de perte et d'absence - est sous-jacente, et même assez prégnante ici, avec ce crapaud dont le géniteur a été écrasé sur la route et qui devient père à son tour, prêt à tout pour assurer la survie de sa lignée. À l'instar du Discours de la panthère (Éditions 2024, 2020), l'auteur adopte un ton philosophique voire poétique pour construire son message écologique autour d'une humanité qui fait fausse route, mais qui n'est finalement qu'une espèce parmi d'autres, amenée à évoluer ou à disparaître. Et il le fait avec un dessin et une mise en scène toujours plus limpides, toujours plus frappants, aux couleurs éclatantes comme un « orage de vie qui sort de terre », selon les mots du vieux chêne. Des mots qui résonnent encore longtemps une fois le livre refermé.