Avant-critique Science-fiction

Jacek Dukaj, "La vieillesse de l'axolotl" (Rivages)

Jacek Dukaj - Photo © Gracjan Donarski

Jacek Dukaj, "La vieillesse de l'axolotl" (Rivages)

Dans ce roman aussi subtil qu'hallucinatoire, le Polonais Jacek Dukaj a imaginé une Terre postapocalyptique où les êtres humains ne survivent qu'à travers leurs esprits numérisés.

Parution 9 octobre

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Par Cédric Fabre
Créé le 10.10.2024 à 09h00

L'homme machine. Avant l'apocalypse qui a détruit toute trace de vie sur Terre, les cerveaux des humains ont été copiés en format numérique. Au lendemain de la destruction de la planète, ils se sont tous retrouvés piégés dans un univers virtuel. Greg, un jeune technicien informatique, s'est ainsi « réveillé » dans un ordinateur de Vladivostok, privé de corps. Il a découvert l'ampleur de la catastrophe en entrant dans le réseau municipal, réalisant qu'il n'est plus défini que par un ensemble de données. Il se déplace en utilisant un « mecha », sorte de robot dont il prend le contrôle, et il navigue entre les serveurs, découvrant toute la complexité de l'organisation sociale de ce monde virtuel, avec ses enjeux de pouvoirs mais aussi ses espoirs. « Nous sommes des abominables carcasses-fantômes d'individus, désespérance molybdique d'un cœur vide », observe-t-il, amer, tandis qu'il traverse les rues défoncées de Tokyo, où on a laissé aux sexbots le soin de mimer d'effroyables parodies de l'acte sexuel humain. Il faut surtout se méfier des programmes sauvages qui dévorent les esprits et ne pas craindre les âmes errantes, des cerveaux qui n'ont pas été téléchargés jusqu'au bout... Greg tisse des liens avec d'autres humains numérisés qui travaillent à un projet fou : trouver de l'ADN, ce qui leur permettrait de reprendre une forme physique et redevenir des êtres biologiques. La quête semble démesurée : il faut aussi créer des conditions de survie « à l'extérieur » et imaginer comment il reste possible de se nourrir dans le monde réel. Pour mieux se souvenir, Greg revoit des films de lui-même qu'il avait postés sur les réseaux sociaux avant ce qu'on appelle désormais « l'extermination ». Il éprouve toujours des sentiments et se questionne sur ce qu'il adviendra de son humanité : celle-ci est-elle soluble dans les machines et les corps de métal dont il occupe les circuits électroniques ? Est-il prêt à être un « machine-made man », le premier homme créé par un robot, ou ne serait-ce alors qu'une triste façon d'entériner le fait que la technologie définit désormais à elle seule la destinée humaine, mettant un point final au principe darwinien de l'évolution ? En attendant, Greg comprend que l'espèce, même numérisée, ne survit qu'en transmettant des légendes, et l'on évoque ainsi un paradis qui se nicherait dans un coin secret, où l'on renouerait avec le sentiment du bonheur familial, où l'on retrouverait le goût et l'odorat... Ce roman fascinant a tout de l'odyssée ultime, parfois sous la forme d'une rêverie baignée de paysages sublimes, le plus souvent au rythme des dilemmes agitant l'esprit du narrateur qui ne sait plus quelle texture a la chair mais qui refuse que sa mémoire soit écrasée par des colonnes de chiffres et qui ne cesse de chercher comment il pourrait se réconcilier avec la vie.

Jacek Dukaj
La vieillesse de l'axolotl
Rivages
Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewey
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 22,50 € ; 336 p.
ISBN: 9782743664688

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