D'une autre classe. Méfions-nous, dans la vie et en littérature peut-être plus encore qu'ailleurs, des assignations à résidence. Prenons ainsi le cas d'Alan Hollinghurst. S'il ne fait guère de doute pour quiconque l'ait jamais lu qu'il est bien l'un des grands romanciers de notre temps, force est de reconnaître que sa réputation, en France au moins, demeure restreinte à un cercle d'happy few et que sa gloire n'a pas atteint les dimensions de celles d'un McEwan, d'un Ishiguro, d'un Barnes ou d'un Amis, pour ne citer que des écrivains anglais de sa génération. En cause, sans doute, le goût stérile et hâtif de la critique et du lectorat pour les classifications. Hollinghurst est gay, il ne chante que dans son arbre et donc, la plupart du temps ses personnages le sont (ou découvrent qu'ils le sont) également. La belle affaire... Par ailleurs, il n'y aurait pourtant sans doute pas de livres pour mieux témoigner des avanies de l'Angleterre de la fin du siècle dernier que son premier roman, La Piscine-bibliothèque (Christian Bourgois, 1991), ou La ligne de beauté (Fayard, 2005) qui lui valut tout de même un Man Booker Prize.
Le prodige romanesque se renouvelle encore avec ce Nos soirées, en peut-être plus vaste encore, plus ambitieux, plus tragique somme toute, puisque le temps passé est une tragédie - notons qu'Hollinghurst a traduit des tragédies de Racine en anglais. Nos soirées retrace l'histoire sur six décennies, des années 1960 jusqu'à la récente pandémie, d'un garçon, fils unique d'une mère célibataire, et de sang mêlé puisque son père était d'origine birmane. Il s'appelle Dave Win. Issu de la classe ouvrière, il deviendra l'un des grands acteurs de la scène britannique, sans rien concéder jamais à son goût pour la révolte, la liberté, le refus de toute discrimination. Il est l'exact opposé de son âme damnée, Giles Hadlow, qu'il a connu à l'âge de 13 ans, fils de famille devenu l'incarnation de l'ordre réactionnaire des choses et politicien tory sans foi ni loi autre que les siennes. Hollinghurst, en virtuose de la comédie sociale, met en scène cette opposition avec un art accompli, une intensité narrative incandescente, un humour volontiers sarcastique et sans aucun schématisme. Il y a là-dedans tout à la fois du Proust, du James et du Michael Cunningham. C'est-à-dire du Alan Hollinghurst et c'est magistral.
Nos soirées
Albin Michel
Traduit de l’anglais par David Fauquemberg
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 24,90 € ; 624 p.
ISBN: 9782226499349