2 octobre > BD Belgique

Quelle mouche a piqué Frédéric Séron, dit Clarke ? Auteur prolifique, notamment connu pour sa très belle série jeunesse Mélusine (Dupuis), le dessinateur et scénariste belge a souvent manifesté son appétence pour l’humour noir. Son recueil décalé Réalités obliques, évidemment en noir et blanc, tranche pourtant par la désespérance implacable qu’il porte. Il s’agit d’un recueil de 25 saynètes, 25 "visions" très sombres, chacune centrée, et même focalisée au sens de la focale d’un appareil photo ou d’une caméra, sur une personne et sa préoccupation fondamentale, un événement tragique ou un défi existentiel auquel il est confronté.

Dans la première séquence, une jeune femme observe et déplore de n’exister qu’un jour sur deux, décrivant le gouffre qui s’ouvre devant elle un soir sur deux, à la veille de sa disparition récurrente. Dans une autre, un automobiliste ne cesse, au cœur de la nuit, de percuter à son corps défendant une femme sur la route. Dans d’autres encore, un aveugle se trouve pris dans un feu de forêt, un alpiniste vieillit de manière accélérée à mesure qu’il grimpe, un homme tente de se débarrasser de taches indélébiles qui apparaissent sur sa paume. Difficile, sans trop déflorer, d’en citer plus, ou de livrer la chute de ces brèves à mi-chemin de la réalité vécue et du cauchemar, facettes métaphoriques de la dépression, tordues, obliques donc, pour reprendre le terme du dessinateur.

Sur le fond, parmi d’autres références dont les titres les plus sombres de la collection des "Histoires fantastiques" publiées par Dargaud dans les années 1970 et 1980, Réalités obliques évoque immanquablement les fameuses Idées noires de Franquin (Dupuis). Sur la forme, il fait écho aux remarquables Points de vues satiriques, voire cyniques de l’Américain Peter Kuper (Çà et là). Clarke a lui aussi établi pour ses 25 séquences, dans un format carré, un dispositif extrêmement rigoureux. Toutes sont traitées sur quatre pages, chacune composée de quatre cases également carrées, soit un total de seize cases par histoire. Elles sont séparées les unes des autres par deux cases entièrement noires. Le temps d’une respiration, ou d’un naufrage. Fabrice Piault

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