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Hyperpatrimoine

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Directeur de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France de 1996 à 2003, Michel Melot dresse un bilan de cette entreprise, élargissant sa réflexion à la notion même de patrimoine, mondialisé, métamorphosé, voire dématérialisé.

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Par Jean-Claude Perrier
avec Créé le 05.12.2014 à 14h06

"L'Inventaire lui-même fait maintenant partie du patrimoine." MICHEL MELOT- Photo OLIVIER DION

Chartiste, Michel Melot a consacré toute sa carrière aux bibliothèques, à l'image et au patrimoine. Conservateur, puis directeur du département des estampes et de la photographie à la Bibliothèque nationale de 1967 à 1983, directeur de la BPI du Centre Pompidou de 1983 à 1990, vice-président puis président du Conseil supérieur des bibliothèques de 1991 à sa suppression en 1996, et enfin directeur de l'Inventaire à la direction de l'architecture et du patrimoine au ministère de la Culture jusqu'à sa retraite en 2003. Il est l'auteur d'une vingtaine de livres, romans, ouvrages d'histoire de l'art, ou essais, dont Demain le livre..., paru à L'Harmattan en 2007.

Livres Hebdo - Le point de départ de votre livre, c'est une réflexion sur l'évolution de la notion de patrimoine ?

Michel Melot - Tout à fait. Avec son glissement du monumental vers le culturel, puis vers le foncier, voire l'immatériel.

Quelles sont les origines de l'Inventaire général du patrimoine ?

En 1964, André Malraux, ministre de la Culture du général de Gaulle, créait l'Inventaire des monuments et des richesses artistiques de la France, reprenant l'idée de ce qui s'était fait au XIXe siècle, en particulier sous la direction de Mérimée. C'était un service du ministère, représenté dans les régions par les Drac. Puis, en 2004, à la faveur de la décentralisation, l'Etat a confié ce travail aux Régions, sous le nom d'Inventaire général du patrimoine culturel. La notion de patrimoine s'est alors considérablement élargie, en s'ouvrant à des objets d'intérêt local, au patrimoine industriel et ferroviaire, ou à des richesses immatérielles, comme la gastronomie, des fêtes ou même des chants, par exemple les polyphonies corses.

Quelles étaient les missions de l'Inventaire ?

Définir le patrimoine et sa valeur symbolique, le recenser afin de le conserver, de le protéger. Et aussi le publier. De 1964 à 2004, l'Inventaire a édité une centaine de livres, fait prendre d'innombrables photos, qui représentent un trésor unique. Ouvert très tôt vers les nouvelles technologies, il rassemble aujourd'hui deux ou trois millions de notices sur Internet.

Quelles en sont les limites ?

L'Inventaire ne recense pas le patrimoine naturel, qui dépend du ministère de l'Environnement, ni les bibliothèques, ni les archives. Et puis, en raison même de son vaste champ d'intervention et de l'évolution des mentalités, tout est toujours à refaire, à réactualiser sans cesse.

Comment est née l'idée de patrimoine mondial ?

C'est l'Unesco qui a créé ce concept en 1972. Au début, il s'agissait de recenser, de classer des monuments, comme les châteaux, les cathédrales. Puis, sous la poussée des pays du tiers-monde, s'y sont ajoutés des sites naturels, du patrimoine matériel et immatériel, en 2003. Enfin, en 2005, la "diversité des expressions culturelles" : c'est-à-dire les films, la musique, la télévision. C'était un moyen de soustraire le culturel à l'économique. Un objet classé n'entre plus dans le circuit du commerce.

Y a-t-il des bibliothèques classées au patrimoine mondial ? Alexandrie, par exemple ?

La seule, je crois, est la bibliothèque islamique de Tombouctou, qui vient de tomber aux mains des rebelles touaregs. Quant à Alexandrie, non. Dans le cas d'une bibliothèque, ou d'un musée, on peut classer soit le bâtiment, soit les collections : mais cela les fige, elles deviennent inaliénables.

Est-ce qu'une imprimerie ou une maison d'édition pourraient être inscrites à l'Inventaire ?

Oui, on peut l'imaginer. Mais faut-il classer le contenant ou le contenu ? Ainsi, c'est la collection exceptionnelle des caractères Garamond de l'Imprimerie nationale qui a été classée. Si on classait Gallimard, par exemple, ce serait à travers ses archives.

Créateur de l'Inventaire, Malraux, sa pensée et son action, est un peu le fil rouge de votre livre ?

Oui. Sa pensée est très actuelle, parce que relativiste. Dans Le musée imaginaire, il expliquait bien que le patrimoine varie en fonction de la valeur qu'on lui accorde. Il avait compris aussi le rôle des innovations technologiques, comme l'explosion de la photographie.

Si le patrimoine englobe de plus en plus de types de richesses, ne risque-t-il pas de se banaliser ?

L'accroissement des objets patrimoniaux recensés peut mener à un grand flou. Jusqu'où ira-t-on ? C'est pour ça qu'il m'a paru nécessaire de dresser un bilan de l'Inventaire général, avec des exemples concrets, de terrain. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que l'Inventaire lui-même, avec ses publications, ses fiches, ses photographies, sa cartographie interactive, fait maintenant partie de notre patrimoine.

Mirabilia : essai sur l?Inventaire général du patrimoine culturel, de Michel Melot, Gallimard, 296 pages, 22 euros. ISBN : 978-2-07-013637-7, mise en vente le 15 mai.

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