Philippe Artières est un homme de dossier. Celui qui se définit comme un « miniaturiste des individus sans visage », aime en présenter toutes les pièces, puis il en tire des conclusions souvent inattendues. Il faut dire que les affaires qui l'intéressent s'avèrent souvent criminelles. Cet historien, disciple de Michel Foucault, trouve un malin plaisir à exhumer des faits divers oubliés qui nous parlent mieux que quiconque d'une époque et de ses interdits sexuels, révélant cet humus qui renvoie aux profondeurs insondables de l'âme. Cette fois, il a ressorti le cas d'un séminariste masturbateur. À l'aide d'un couteau, celui-ci a procédé à la décapitation de Jean Raulnay, son camarade de 13 ans pour assouvir une pulsion. Nous sommes près de Saint-Flour le 1er septembre 1905. La date est importante, car c'est le moment où l'Église et l'État se séparent. Dans une sorte de rituel macabre, Jean-Marie Bladier détache, par imitation sauvage, la tête du corps de son copain qu'il dépose à quelques centimètres. La presse présente alors ce jeune homme de 17 ans comme un monstre irrécupérable pour la société. Le professeur Alexandre Lacassagne voit dans cet acte un cas de « sadisme sanguinaire congénital ». Il fascine littéralement le grand criminologue lyonnais.
Philippe Artières expose les articles, l'autopsie, les expertises psychiatriques et les carnets du criminel, écrits en prison à l'initiative de Lacassagne. L'assassin aurait retrouvé dans cet exercice « un véritable lieu d'écriture de soi », une sorte de jouissance, à l'instar de celle que lui procurait l'onanisme. L'affaire Bladier ne cesse pourtant de poser question sur les motivations du jeune homme, très perturbé, qui finira ses jours dans un asile, contrairement à l'avis du médecin. Philippe Artières nous explique surtout en quoi le cas Bladier est un objet d'histoire. Il dévoile le sens d'un crime d'une violence extrême, comme l'expression d'un délire qui n'est plus canalisé par le nouveau monde social, un changement symbolique qui le laisse aller à ses pulsions de meurtre. Il aurait ainsi coupé la tête de son camarade comme on coupait celle des saints, dans une sorte de mimétisme religieux qui n'a pas été pris en compte par les experts. Qu'on soit ou non d'accord avec cette interprétation, l'histoire de ce crime reste troublante. Tout comme ce livre.
Un séminariste asassin. L'affaire Bladier, 1905
CNRS ÉDITIONS
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 16 € ; 152 pAGES
ISBN: 9782271133304