10 ans et toujours indépendant

Guillaume Allary : « L’enjeu, ce sont les titres de milieu de classement qui peuvent basculer »

Guillaume Allary, 51 ans, voit toujours la vie en indépendant - Photo © ED

Guillaume Allary : « L’enjeu, ce sont les titres de milieu de classement qui peuvent basculer »

Le président d’Allary Editions fête les 10 ans de sa maison, qui coïncident avec la sortie du dernier tome d'une série qui a beaucoup fait pour son succès éditorial : Les Cahiers d’Esther de Riad Sattouf.

 

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Par Éric Dupuy
Créé le 04.06.2024 à 17h04

C’est un immeuble qui transpire l’industrie artistique à quelques pas du Grand Rex, à Paris. Ici, des studios de postproduction, là le bureau du réalisateur oscarisé Michel Hazanavicius et au premier, les éditions Allary, installées depuis pas loin de dix ans à cette adresse. C’est justement pour cet anniversaire que nous avons rencontré l’éternel jeune éditeur Guillaume Allary, 51 ans dont près de 25, voire peut-être 30 - il ne le sait plus exactement lui-même - passés comme éditeur chez Flammarion, Hachette Littérature ou Nil avant de fonder les éditions qui portent son nom, diffusées et distribuées par Interforum. Dix ans plus tard, 126 titres au catalogue dont 20 écoulés à plus de 100 000 exemplaires (lire-ci après) et 25 récompenses en France et à l’International (lire ci-dessous), l’équipe, la ligne et les métiers n’ont pas changé. Et en même temps, tout a changé. C’est ce dont nous avons parlé avec Guillaume Allary.

Livres Hebdo : Quelle est votre relation aux libraires et comment a-t-elle évolué en dix ans ?

Guillaume Allary : Elle a commencé par un tour de France des librairies en 2014 avec le premier livre publié par la maison, un premier roman, Les Fidélités, de Diane Brasseur. L’essence de ce métier étant de prendre des risques, je voulais commencer par un premier roman. Les libraires y ont cru, ce premier livre a été notre premier succès, je leur en suis profondément reconnaissant. Et puis il y a eu toute cette période d’identification : Allary, maison de littérature ? d’essais ? de BD ? Maintenant, nous sommes identifiés par les libraires comme une maison généraliste exigeante et grand public, et cette relation avec eux est la base de tout. Tous les défis de la chaîne du livre tiennent sur la librairie et sur la librairie indépendante. Je regrette d’ailleurs qu’il y ait de moins en moins de maisons d’édition indépendantes capables de rivaliser avec celles des grands groupes. La concentration éditoriale n’est pas une bonne nouvelle pour les libraires et les auteurs. L’édition allemande, pour ne citer qu’elle, est plus diversifiée et donc plus saine.

Vous êtes attaché à votre indépendance. A quoi tient-elle ?

Dix ans c’est l’occasion de se retourner pour regarder le chemin parcouru. J’ai relu ce que j’avais écrit à la création de la maison pour définir le projet et convaincre des proches de me prêter de l’argent et, cela m’a étonné moi-même, ce que j’avais écrit s’est réalisé !  Je souhaitais éditer des livres qui racontent le monde avec une exigence esthétique et intellectuelle, des livres de référence, qui durent, qui construisent un fond.  Mais je voulais aussi que ces livres aient une capacité de s'adresser au grand public. C'est la ligne de la maison, dont nous n’avons jamais dévié, et que nous déclinons dans tous les genres. Mêler exigence et accessibilité, cela signifie, pour chaque titre, plusieurs niveaux de lectures, plusieurs façons d’entrer dans l’ouvrage, afin que celui qui ne connait rien au sujet comme l’amateur éclairé y trouve de l’intérêt. Je pense que j'avais identifié qu’une maison indépendante à haute valeur ajoutée éditoriale pouvait s'imposer.

« La réussite tient aussi à la capacité à dire non à un projet »

Qu’est-ce qui fait que vous réussissez là où beaucoup échouent ?

Je suis partie du constat que nous étions dans une surproduction éditoriale. Et finalement, cela n’a pas évolué : depuis dix ans, nous sommes sur un plateau - entre 60 000 et 70 000 nouveaux titres par an. Quand j’ai débuté dans l’édition, il y a 25 ans, ce volume était beaucoup moins important, j’aurais donc eu plus de mal à me différencier. Aujourd’hui, nous publions une douzaine de titres par an, avec sept collaborateurs. Nous avons les ressources pour accompagner chacun de ces titres sur la durée, contrairement à d’autres maisons de grands groupes, dont la majorité des titres sont chassés par d’autres.  Et puis nous avons collé à notre ambition de ne jamais publier un livre qui ne nous ressemblait pas. J'ai refusé plusieurs textes dont je voyais le potentiel commercial mais qui ne correspondaient pas à l'exigence ou aux valeurs humanistes défendues par la maison. La réussite tient aussi à la capacité à dire non à un projet. Je n’aime pas le faire mais c’est ce que je fais toute la journée. Là où j’ai échoué, c’est d’avoir une production régulière de 15 à 20 titres par an. C’est un objectif que j’ai depuis le début et j’espère l’atteindre à l’avenir.

La conjoncture est quand même délicate aujourd’hui, avec l’augmentation des coûts des matières premières, ce qui fragilise les petites structures. Vous annonciez 8 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018, et vous en avez réalisé 6,9 millions d’euros en 2023. Ça va mal, non ?

6,9 millions de chiffre d’affaires avec 7 salariés, j’espère que cela va continuer à aller mal comme cela pendant encore longtemps ! (Rires). Nous ne sommes pas dans la même économie que les grandes maisons qui publient beaucoup de titres. Pour elles, l’augmentation du prix du papier a un gros impact car le coût d’un livre est surtout un coût variable (fabrication et à-valoir de l’auteur) leurs coûts fixes étant amortis sur un grand nombre d’ouvrages. C’est l’inverse chez Allary Editions où les coûts fixes sont absorbés par très peu de titres. L'augmentation du coût du papier est certes importante, mais l’essentiel du coût vient du fait que notre attachée de presse, Elisabeth Trétiack-Franck, va être dédiée au livre pendant plusieurs semaines, qu’il y a un éditeur ou deux qui vont travailler sur le texte, que j’y passe moi-même beaucoup de temps ou encore que Laurence d'Aboville, la directrice adjointe responsable des relations libraires, s'occupe d’organiser des tournées et des rencontres sur mesure. Chacun de nos livres coûte très cher.

« Oui, c'est plus compliqué aujourd'hui que ça l'était avant ! »

Mais la situation de la littérature générale en France et ailleurs est préoccupante. Qu’est-ce qui vous permet de croire que l’avenir peut continuer à s’écrire en toute indépendance ?

L’indépendance, c’est d’abord un choix, mais je ne peux pas vous dire que ce n'est pas plus compliqué aujourd'hui que ça l'était avant ! Quand j'ai commencé dans l'édition, début 2000, un premier roman se vendait 3 ou 4 000 exemplaires sans trop de difficultés. Si on sortait un essai de société qui obtenait un ou deux bons papiers, on en écoulait 4 ou 5 000 exemplaires. Aujourd’hui, ce ne sont pas les mêmes chiffres et il y a une polarisation des ventes. L’enjeu, c’est d’arriver à avoir des titres « du milieu » qui, à un moment, font la bascule. Par exemple, Faire Famille de Sophie Galabru qui est une découverte de notre éditrice Pauline Miel arrivée récemment dans la maison. Le premier essai de Sophie, qui n’était pas chez Allary Editions, s’était écoulé à moins de 4 000 exemplaires. Grâce à un investissement de la maison sur l’éditorial, la diffusion et la promotion, son deuxième essai, Faire Famille, franchit les 20 000 exemplaires. Même méthode pour le neuroscientifique Albert Moukheiber, inconnu au moment de la sortie de son premier essai en 2019, Votre cerveau vous joue des tours, qui s’est écoulé à 15 000 exemplaires, notamment grâce à une couverture astucieuse et un gros travail pour rendre le propos accessible. Résultat : une adaptation documentaire d’Arte et 12 cessions de droits étrangers. Les traductions sont, depuis le début, un levier essentiel. En dix ans, nous avons signé 325 contrats de cession pour seulement 126 titres publiés.

Matthieu Ricard distingué aux États-Unis

En dix ans, l’impact des réseaux sociaux a fortement augmenté sur la communication autour des sorties, tandis que la consommation de livres diminue. Comment avez-vous évolué sur ces sujets ?

Des maisons comme la mienne, comme toutes les maisons exigeantes, s'appuient sur ce qu'on appelle les grands lecteurs, c'est à dire ceux qui achètent plus de dix livres par an. Ce noyau diminue parce que ce sont des gens assez âgés. Pourtant, les jeunes dévorent des séries. L’enjeu est de leur montrer le plaisir qu’ils peuvent avoir à lire des livres de qualité, y compris dans d’autres genres. Il faut aller chercher ces jeunes lecteurs, souvent très actifs sur les réseaux, pour en faire de grands lecteurs. C’est dans cet esprit que nous avons décidé de lancer l’année prochaine, avec Hugo Décrypte, une collection d’encyclopédies d’un nouveau genre, avec à chaque fois un grand thème raconté, décrypté en BD. Ce qui nous a séduits, c’est la capacité d’Hugo de parler aux jeunes et sa quête d’exigence, et lui et son équipe sont venus chercher notre savoir-faire éditorial. Sur les 126 titres que nous avons publiés en dix ans, 59 ont dépassé les 10 000 exemplaires vendus. Ce chiffre m'a rassuré sur la capacité d'un livre de qualité à s'imposer et il me donne l’espoir et l'énergie pour continuer.

Vous sortez également votre dernier tome des Cahiers d’Esther. Aucune nostalgie d’en finir avec l’un de vos plus beaux succès ?

Cette série a débuté alors qu’Esther avait 10 ans, et Riad (Sattouf, ndlr) et moi avions prévu depuis le début qu’elle prendrait fin l’année de ses 18 ans, à sa majorité. Ce dernier tome clôt une formidable aventure, donc il y a une forme de nostalgie bien sûr, mais cette fin annoncée fait partie du charme et de la force de cette série. Et je suis plus excité par les défis à relever que par la célébration des succès passés.  

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