Au départ, il y a Berthet. Un tueur, un barbouze. Un homme encore sur la brèche à 60 ans, qui a maintes fois été confronté à une mort violente. Berthet vit depuis longtemps dans le secret, une "vie fantôme". Il émarge pour l’Unité - police parallèle occulte fondée à l’aube de la Ve République -, aime la poésie de Georges Perros (dont il possède l’édition originale d’Une vie ordinaire) et de Mandiargues, a envie d’écrire même s’il ne pense avoir "ni le temps ni le talent". Mais voilà, on veut tuer Berthet. Lequel est parti à Lisbonne avec la belle Amina qu’il a rencontrée dans une librairie. Elle pense qu’il se nomme Alain Derville et qu’il est un paisible professeur d’histoire médiévale. A Lisbonne, il est suivi par trois gugusses, qu’il a vite repérés, chargés de lui faire la peau.
Détail d’importance, notre homme est depuis vingt ans l’ange gardien de Kardiatou Diop, une ancienne adolescente des quartiers devenue secrétaire d’Etat aux Echanges culturels européens auprès du ministre des Affaires européennes. Pour l’heure, Kardiatou s’apprête même à se présenter aux élections municipales à Brévin-les-Monts, sous-préfecture du Centre qui connaît la crise depuis la fermeture des mines. Une mairie que brigue également Agnès Dorgelles, la brune leader du Bloc patriotique, le parti d’extrême droite que l’on trouvait déjà, à l’instar de sa chef, dans le précédent roman de Jérôme Leroy, Le bloc ("Série noire", 2011). Leroy a placé sur l’échiquier un troisième protagoniste : Martin Joubert est le nom de plume d’un ancien professeur de français dans une zep de Roubaix qui a eu Kardiatou pour élève. Martin Joubert habite désormais à Paris. Il s’agit là d’un écrivain dépressif dont le couple bat de l’aile. Cet ex-militant du PCF va bientôt avoir 50 ans. Il force sur le Xanax et l’alcool, alterne les lectures de romans noirs, de "mummy porn" et d’articles dans Boulevard Atlantique. Un jour, il voit débarquer chez lui un certain Berthet…
Parfaitement orchestré, L’ange gardien parle tout à la fois d’amour, de politique et de mélancolie. On y retrouve la prose affûtée et le regard singulier d’un Jérôme Leroy au sommet de sa forme.
Al. F.