6 février > Roman France

Sibylle et Régis, la quarantaine avancée, mari et femme depuis trois ans, se retrouvent assis à la table du Parc aux saveurs, un restaurant en Ile-de France, branché et un peu snob, pour célébrer l’anniversaire de leur rencontre, cinq ans plus tôt : l’occasion rêvée - pour elle, en particulier - d’apprécier le chemin parcouru, de faire l’état des lieux et les comptes de leur couple. Lui, père d’une fille déjà grande, antiquaire spécialisé dans le mobilier des années 1930 et "conseil en patrimoine artistique", et elle, sans enfants, rédactrice, avaient eu leur premier déjeuner en tête-à-tête alors qu’elle cherchait à vendre les meubles d’une maison héritée d’un mystérieux "parrain" installé en Amérique.

C’est l’agacement refoulé de cette femme dont la caustique Cookie Allez traque la montée en charge. Il se cristallise sur le portable dernière génération du mari, "All-in-one" posé sur la table, "bonne bête prête à léchouiller l’oreille de son maître". On comprend vite que cette présence technologique instaure un ménage à trois - et même à quatre puisque s’invite par son intermédiaire, la fille du mari, Laure, 27 ans - mais qu’il n’est que le détonateur d’une bombe à retardement faite d’incompréhension, de non-dits, de mensonges par omission. Qu’est-il advenu de la séduction des débuts ? L’indulgence des premiers temps, la tolérance bienveillante a fait place à un regard plus critique, moins attendri. Et Sibylle a la dent dure, le trait d’esprit acide, voire aigre. Elle se sent conformiste, en décalage avec "les simagrées de l’époque", son clinquant, déplorant que certains mots comme "intérieur" soient en péril, autant que l’idée qu’ils portent. Et les motifs d’exaspération ne manquent pas : le service trop chichiteux, la carte prétentieuse, ce "langage amphigourique propre à la cuisine des temps nouveaux". Quant au compagnon, "il a hâte d’avoir un verre plein devant lui. Mais surtout il a hâte d’enchaîner. Il faut que ça tourne". Bonne ambiance !

Le septième roman de l’écrivaine française publiée depuis ses débuts avec Le ventre du président par Buchet-Chastel, actualise avec ironie l’un des rituels amoureux contemporains, le face-à-face commémoratif, pointant à travers ce couple à l’ère de la connexion permanente le persistant brouillage dans la communication.

Véronique Rossignol

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